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Chroniques d'un monde handicapé

Margaux-G

Je m'appelle Margaux et je suis atteinte d'une maladie génétique depuis ma naissance... Voilà, le contexte est posé ! 

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Une jeune fille handicapé qui écrit une biographie, voilà qui n'a rien de très original me direz vous. Je suis d'accord ! Je ne suis ni la première, et sans doute pas la dernière non plus à avoir ce genre d'idée. D’ailleurs, il faut rendre à César ce qui lui appartient: ce n'est pas mon idée, mais celle de ma mère. Alors que je rentrais du lycée pour lui raconter une autre de mes péripéties avec le secrétariat qui ne voulait pas me donner le code pour prendre l'ascenseur (je vous raconterais, promis), elle m'a conseillé d'écrire un livre de toutes ces petites choses qui s'accumulent depuis ma naissance. Vous connaissez sans doute cette maxime populaire qui dit: "Nous sommes tous différents, donc tous exceptionnels". J'aime beaucoup ce proverbe. J'abonde en son sens. Il est vrai que pour ce qui est de la différence et de la singularités, la vie ne m'a pas loupée! Je pense que de plus vaste présentations s'imposent:


"Enchantée, je m'appelle Margaux, j'ai 19 ans, je possède un très faible tonus musculaire, je me déplace en fauteuil roulant, je dors avec un appareil respiratoire et j'ai une vingtaine de vis en titane fichées dans la colonne vertébrale. Je me promène partout avec Hélios, un grand labrador noir qui est mon chien d'assistance, ajoutez à cela un talent naturel pour les maladresses et une imagination (un peu trop) débordante... Et vous c'est comment ?".


J'ai également un goût fort prononcé pour l'autodérision mais ça aussi vous allez vite vous en rendre compte !

Cela fait 19 ans que je cherche à comprendre le monde qui m'entoure, comprendre qui je suis et la place que je peux avoir dans la société. J'ai traversé de sombres périodes, j'ai dû parfois mentir Ã  moi même pour tenter de trouver ma place. 

J'ai osé, J'ai vaincu, j'ai perdu, j'ai baisser les bras...


Et je me suis relevée...


J'ai appris à me battre, j'ai compris le sens de la vie et la chance que j'avais d'en avoir une. J'ai fini par comprendre qui j'étais et à m'accepter ainsi. Cela ne fut pas sans peine. Le problème de tout à chacun, je crois, est de parvenir à s'accepter tel qu'il est, malgré ses différences, ses complexes...


Cependant, comment parvenir à s'accepter, à trouver une forme de paix avec soi-même, lorsque la société ne fait que vous rappeler à quel point vous êtes anormal ?


Je n'ai pas la prétention de croire que mon histoire va changer votre vision du monde ou le regard que vous portez sur le handicap, mais il me tenais Ã  cÅ“ur de la partager avec vous.

Parce que ces péripéties m'ont fait rire, m'on fait pleurer...

Elles m'ont fait grandir et avancer...

Tout simplement.

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Ces récits ne doivent en aucun cas être perçus comme une critique à l'égard des personnes actrices de ces histoires. Ecrire et coucher ces peripécies sur le papier n'est pas l'aboutissement d'une forme de vengeance. J'avoue en avoir voulu à certaines de ces personnes pour ce qu'ils m'avaient fais vivre. Il m'a fallut quelques temps pour comprendre que chaque rencontre que nous faisons dans notre vie, bonne ou mauvaise n'est pas à maudire ou à regretter. Chacune d'elles m'ont permis de tirer un enseignement. Après tout nous apprenons tous à vivre comme nous avons appris à marcher, en tombant, puis en nous relevant et en réessayant de nouveau.

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Chronique d'un monde handicapé: Bienvenue
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Ma vie est une aventure

Margaux-G

J'imagine que l'on ne peut pas comprendre entièrement une situation et toutes ses problématiques sans y avoir été un jour personnellement confrontés. J'entends certains me dire: «je sais ! Le handicap je connais, j'ai connu quelqu'un qui...». Permettez-moi d'avoir des doutes. Je soupçonne même certains de mes proches ne pas avoir entièrement conscience de ce que cela implique réellement au quotidien. Et c'est tout à fait normal. Vous ne pouvez-vous en rendre compte, puisque vous réfléchissez en tant que personne valide. Je parle là d'une foule de petits gestes du quotidien que vous réalisez chaque jour sans même y penser. Comment pouvez-vous vous rendre compte que ces actes insignifiants de la vie courante sont une épreuve pour moi ? Voilà pourquoi je vous propose une petite expérience si vous le voulez bien. Oh, il ne s'agit pas d'invoquer une formule magique pour que demain vous vous réveilliez dans ma peau. Non, car même si j'en avais le pouvoir, je ne le souhaiterais à personne. Cette magie n'existe pas (ouf!), en revanche je me défends plutôt bien dans un autre domaine qui peut s'apparenter selon moi, à de la magie: l'imagination.

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Allez ! Suivez-moi ! Imaginons que nous sommes le matin, que la sonnerie de votre réveil vous arrache brusquement aux bras de Morphée et que vous vous extirpez de vos draps, encore tout(e) endormi(e), pour vivre une journée dans un fauteuil roulant. Alors, par quoi on commence ? Ah ! J'ai dit que vous vous extirpiez de vos draps ? Autant pour moi. Rappelez-vous, vous n'avez qu'un faible tonus musculaire… Du coup vous attendez que quelqu'un vienne vous aider à sortir de votre lit. Bon, je suis gentille, je vous ai épargné les manipulations pour retirer les appareillages orthopédiques et respiratoires avec lesquels vous devez vous endormir. Où en étais-je ? Ah oui, vous êtes levé(e) et installé(e) dans votre fauteuil. On vous a aidé pour préparer et prendre le petit déjeuner et vous êtes habillé(e), prêt(e) à sortir. C'est parti !

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7h45 – Bon, vous voilà devant chez vous, prêt à partir au travail. Admettons que vous pouvez vous y rendre « à pied », enfin, vous m'avez comprise ! Oui mais votre voisin a encore oublié qu'il ne fallait pas laisser ses poubelles sur le trottoir car vous ne pouvez pas passer sinon. Du coup vous êtes bien obligés d'aller sur la route, encore faut-il trouver un bateau (une petite pente pour descendre du trottoir) pour y aller et un autre pour y remonter.

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7h48 – Vous êtes sur la route, il fait encore sombre, les automobilistes, pressés d'arriver sur leur lieu de travail ne font pas spécialement attention à vous ni à votre chien d'assistance et passent comme des fous près de vous… Très près.

7h50- Vous vouliez remonter sur le trottoir d'en face malheureusement comme dans quatre-vingt-dix pour cent des cas, vous ne pouvez pas car les ingénieurs qui ont pensé à mettre un bateau sur le trottoir opposé n'ont absolument pas pensé qu'il en faudrait un sur celui d'en face à la même hauteur, ou alors, si par miracle il y en a un, quelqu'un de tout aussi réfléchi s'y est garé ! Vous devez donc faire un long détour en passant à nouveau sur la route pour trouver un endroit où le trottoir ne fera pas dix centimètres de hauteur.

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7h55- Ça y est! Vous êtes devant l'entrée du bâtiment dans lequel vous travaillez. C'est l'heure de jouer à mon jeu favori, celui qui s'intitule: « quelle porte puis-je franchir avant qu'elle ne se referme à mon nez? ». Oui parce qu'il y a quatre grandes portes battantes extrêmement lourdes qui permettent de rentrer à l’intérieur des locaux et qu'environ soixante dix pour cent des personnes qui souhaitent les franchir en même temps que vous ne se soucient guère de vous, pensant que comme tout le monde, vous pourrez vous débrouiller pour l'ouvrir. Certes, mais aujourd'hui, vous n'êtes pas comme tout le monde ! Alors si vous pensiez naïvement vous en sortir en la poussant avec vos bras ou vos pieds, oubliez tout de suite ! Vous êtes en fauteuil et vous n'avez pas de force ni dans les bras ni dans les jambes ! Du coup une seule possibilité: réfléchir. Vous étudiez la situation, observez les gens qui rentre et les portes qui se referment juste derrière eux. Vous repérez celle où vous aurez le plus de chance d'arriver avant qu'elle ne se referme complètement et vous vous élancez… Mauvais calcul : vous venez de vous la prendre. Bon, et bien il n'y a plus qu'à attendre que quelqu'un repasse. Ah c'est votre jour de chance ! Une âme charitable vient de voir que vous étiez mal pris, dehors sous la pluie, à ne pas pouvoir rentrer au chaud, et est venue vous ouvrir.


10h11 – Vous avez très envie d'aller aux toilettes. Comme vous avez une déficience musculaire qui touche TOUS les muscles et que les choses bien pratiques au niveau de votre vessie, capable de vous aider à vous retenir lorsque vous avez des envies pressantes sont également des MUSCLES, votre patience pour trouver des WC a donc ses limites. Mais n'oubliez pas que vous ne pouvez rentrer que dans des toilettes adaptées, suffisamment spacieuses pour rentrer avec votre fauteuil, avec une barre de maintien pour vous aider à faire un transfert en prime. Chose pratique, tous les lieux publics en sont pourvus. Surprise ! Elles sont fermées. Les dix toilettes normales sont libres mais la seule dans laquelle vous pouvez rentrer ne l'est pas. Vous fulminez, faisant souffrir vos muscles malades derrière la porte pendant dix ou treize minutes jusqu’à ce qu'une fille (valide qui plus est) en sorte calmement… Mais vous comprenez, les toilettes handicapés sont plus spacieuses, c'est plus confortable ! En plus il y a un miroir et un petit lavabo, c'est pratique pour se remaquiller…


11h20 – Vous venez de louper le coche pour prendre l’ascenseur: un sexagénaire y est monté avant vous et à vite refermé la porte. En même temps il faut le comprendre, c'est fatigant de monter les escaliers.


11h30- Vous êtes dans l'ascenseur que vous avez enfin réussi à prendre.


11h40- Vous êtes enfin arrivé au bon étage… Non, non, ce n'est pas un ascenseur particulièrement long, c'est juste que des petits malins sont passés entre temps et ont trouvés drôle d'appuyer sur tous les boutons pour que la machine s'arrête à tous les étages avant de desservir le vôtre.


12h00 – Les collègues vont déjeuner dans un petit bistrot au coin de la rue. Vous avez prévu la sortie plusieurs semaines à l'avance (partir à l'aventure ? N'y songez même pas). Prévoyant(e), vous avez appelé l'établissement pour préciser votre handicap et vérifier l'accessibilité du lieu aux fauteuil roulants électriques, chose que l'on vous a certifié avec entrain. Vous arrivez insouciant(e) sur le lieu de rendez-vous et vous vous apercevez qu'il y a trois marches. Le gérant informé vient vers vous tout sourire, il vous propose de porter votre fauteuil pour vous aider à monter les marches. Il ne vous croit pas lorsque vous lui dites que c'est tout bonnement impossible, vous le laisser essayer.


12h25 – Le gérant y a mis toute sa force, il n'a pas réussi à soulever les deux cents kilos de votre fauteuil roulant. Vous êtes obligé de trouver un autre lieu pour déjeuner. Cela vous met mal à l'aise vis à vis de vos collègues, mêmes s'ils assurent que cela ne les dérangent pas, vous avez l'impression que tout est de votre faute.


13h47 – Vous êtes dans la rue et vous avez vu passer un beau jeune homme (ou une belle jeune fille, selon vos goûts!). Vous le/la regardez passer, forcément, et forcément il/elle vous voit (vous ne passez pas vraiment inaperçu en même temps) et comme vous êtes distrait(e), il /elle vous voit foncer dans un panneau publicitaire de manière tout à fait ridicule ! Mater ou conduire, il faut choisir ! Bon d'accord, peut-être la maladresse est-elle une caractéristique dont je suis la seule à avoir hérité ici, tant mieux pour vous !


14h15- Votre portable vient de tomber sur le sol, vous êtes bien incapable de vous baisser pour le ramasser. Heureusement votre chien d'assistance est là. Il prend l'objet délicatement dans sa gueule sur votre demande. Vous êtes tous deux concentrés pour mener à bien l'opération. Soudain le chien se retourne vivement, lâchant le téléphone: un groupe d'adolescents derrière vous viennent de l'appeler et de l’attirer en faisant des bruits d'animaux. Vous attendez qu'ils passent, votre chien se concentre à nouveau et vous récupérez enfin votre téléphone. Heureusement que vous l'avez à vos côtés. Sans lui, vous n'auriez sans doute pas pu récupérer l'objet, ou alors vous auriez dû attendre longtemps la venue de quelqu'un pour vous aider.


15h30 – Vous est venu la fantaisie de rendre une petite visite à votre grand-mère. Pour cela vous prenez le train. Bien sûr vous avez dû prévenir un agent des chemins de fers 72 h à l'avance. Vous avez le droit de voyager mais il faut le savoir à l'avance! Votre train part à 16h, on vous a priés de venir une demi-heure avant pour prévoir votre installation.


15h45- Vous n'avez toujours vu personne. Vous commencez à vous inquiéter. Vous allez voir à l'accueil, un agent vient s'occuper de vous.


15h50- La rampe qui vous permet de monter dans le train n'est pas assez large pour votre fauteuil roulant. Vous êtes obligé de forcer, de faire quasiment du « deux roues », mais tant pis, vous prenez le risque.


16h00- Le train est partit et vous avec! Vous avez bien sûr pensé à rappeler à l'agent que vous reprenez le train pour faire le chemin en sens inverse à


17h30, ce à quoi il a acquiescé, promettant d'appeler la gare d'arrivé pour rafraîchir l'information.


17h25 – Les agents de la gare d'arrivé semblent découvrir votre présence et le fait que vous devez reprendre un train chez eux.


18h00 – Vous êtes rentrés chez vous. Vous décidez d'emmener votre chien faire une petite balade pour se détendre. Vous vous prenez une ornière sur la route, malgré que vous ayez appelé vingt fois votre mairie pour qu'ils s'occupent de reboucher les trous qu'il y a dans votre rue. L'un des pneus de votre fauteuil roulant est crevé.


18h02 – Vous appelez les réparateurs en urgence. Ils vous indiquent qu'ils ne pourront pas intervenir avant le lendemain matin. Détendez-vous, ce n'est pas comme si ce fauteuil était vos jambes!


18h45- Vous avez un fauteuil roulant manuel de secours à la maison, ce qui vous permet de vous déplacer, certes avec moins d'aisance, mais ça dépanne bien. Sauf lorsque votre chat a décidé de s'étendre de tout son long sur le sol, vous barrant votre route. Vous faites mine d'avancer mais il sait que vous êtes en train de bluffer. Dommage, il n'y a plus qu'à attendre que monsieur ait fini sa sieste. Pas la peine de compter sur votre chien pour ce coup-ci ! Le chevalier sans peur ne faisant pas le fier devant les chats est partit se réfugier derrière le fauteuil… Mais peu vous importe, ils vous font bien rire avec leurs pitreries !


00h02- Vous avez terriblement soif mais êtes tout à fait incapable d'ouvrir vous-même une bouteille d'eau. Un grand dilemme s'impose à vous… Faites-vous l'égoïste en réveillant toute la maison pour qu'on vole à votre rescousse ou préférez-vous laisser vos proches dormir en fixant cette bouteille fermé qui renferme le liquide inaccessible ?


Aller, achevons ici notre petite immersion virtuelle. Qu'en avez-vous pensé ? Et encore, je ne vous ais pas exposé les allers retour à l’hôpital, les séances de kinésithérapie, les papiers à faire à la MDPH, les bagarres administratives pour percevoir ce à quoi nous avons le droit, les réactions parfois blessantes d'autrui…


Je vais vous quitter là, mais avant, j'aimerais faire le point avec vous sur tout ceci.

Je ne vous poserais qu'une seule question:

Durant la lecture de ce texte, vous êtes-vous sentit intimement « handicapé » ? Ou est-ce le monde extérieur qui n'a fait que de vous le rappeler sans cesse ?

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Les PMR, ces privilégiés

Margaux-G

Lors de mon séjour à Londres que je dois à mes proches comme cadeau pour fêter mes dix-huit bougies, j’eus l'occasion de combler de bonheur mon âme d'enfant en me rendant aux studios de Leavesden où furent tournés les huit volés de la saga Harry Potter. Mais si je vous raconte cela, ce n'est ni pour me vanter, ni pour faire pâlir d'envie tous les fans du sorcier à la cicatrice en forme d'éclair qui me liront, mais pour vous conter une anecdote qui me permettra d’amorcer le sujet dont je veux vous parler ici. Les studios sont perdus en pleine campagne, loin de toute civilisation à environ deux heures de route de Londres, aussi les visites commencent par une longue promenade en bus à la découverte des terres anglaises. Nous étions un peu plus de cent personnes à attendre de monter dans notre bus ce matin-là, et je me situais à la fin de la file, arrivée comme souvent en bonne dernière. J'étais en train d'échanger innocemment dans un anglais très hésitant avec mes voisins de rangé (la teneur du message était à peu de chose près: Bonjour, je suis française, veut tu être mon amie?) quand le chauffeur du bus s'approcha et scruta la foule d'un regard très concentré. Dès qu'il me vit, il pointa son index dans ma direction:

- « You! Come with me !»

Un peu sous le choc, je le suis et nous remontons la file d'attente. Il me demanda de rester en tête et me lança : « You are the number one !» avant de s'éloigner.


Au-delà de l’excentricité de notre sympathique chauffeur de magicobus, vous avez bien compris que mon handicap m'a permis de ne pas faire la queue comme les autres et de passer prioritaire.


J'entends déjà les pensées de certains : «Oui, ils nous parlent d’égalité, mais ils ont plus de privilèges que nous, tout ça parce qu'ils ont un handicap!


J'aimerais démystifier quelques petites choses à propos de ce club très select de «privilégiés» auquel j'appartiens. Vous savez, le club des PMR, Personne à Mobilité Réduite. Notre carte de membre ? Une grande carte bleue avec le sigle blanc d'une personne en fauteuil roulant. Pour y être admis, le bizutage est sévère puisque tous les membres ont une maladie ou une particularité physique qui les invalident dans leurs déplacements et entrave leur déambulation.


Cette élite possède de scandaleux privilèges, par exemple, celui d'être prioritaire dans toutes les files d'attentes, d'obtenir des réductions pour eux ainsi qu'un de leurs accompagnent dans les transports ou les parcs d'attractions… Et cerise sur le gâteau, ils ont même des places de parking qui leurs sont exclusivement réservés!


Le problème étant que la plupart des gens qui pensent ainsi jalousent les avantages sans même songer aux inconvénients qui se cachent derrière. Levons le voile sur quelques-uns de ces privilèges voulez-vous ?


J'aime bien observer les gens en règle générale. Je trouve qu'il y un endroit où il y a beaucoup à apprendre sur la nature humaine: les magasins!

Stressés, pressés ou fatigués, la plupart des gens y ont un comportement étrange lorsqu’ils font leurs courses, spécialement lorsque l'on se rapproche des caisses. Dans ces temples de la tentation à l'achat compulsif, tous ne semblent qu'obéir à une seule règle: aller le plus vite possible !


Aussi lorsque je m'approche à mon tour des caisses les jours où le magasin est particulièrement bondé, la réaction que j’obtiens de mes congénères est pour ainsi dire, quasiment toujours la même.


Elle se déroule en trois temps:


            1) C'est la phase où les gens qui attendent, accoudés à leurs cadis en repassant mentalement leurs listes de course l’œil absent, se rendent compte de ma présence. Dès qu'ils aperçoivent mon fauteuil roulant, ils changent de posture, se redressent, les mains deviennent moites, la respiration s’accélère, la peur s'installe. J'ai l'impression d'être une lionne venant d'être repéré par un troupeau de gazelles.

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            2) Vite! Un réflexe qui peut sauver dans ce genre de situation: lever la tête et chercher activement la pancarte indiquant si oui ou non il s'agit d'une caisse prioritaire aux PMR, afin de déterminer si ma présence est réellement une menace!

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         3) C'est l'étape qui m'étonne le plus: dès que la pancarte est repérée et que l'information, murmuré à la hâte, le regard fuyant, est passée dans les rangs, ils ont tous un réflexe morphologique: celui de baisser immédiatement la tête et de fixer leurs pieds jusqu'à ce que ce soit à leur tour de passer. Je ne sais pas pourquoi, peut-être est-ce là des restes de l'enfance et qu'ils s'imaginent que, comme ils ne me voient plus, je ne suis plus là ? Ou alors peut-être se souviennent-ils de cette règle qu'ils avaient sur les bancs de l'école, de ne jamais croiser le regard du professeur lorsqu'il cherchait quelqu'un à interroger sous peine d'être choisit… Peut-être pensent-ils que comme leurs anciens professeurs, dès que je vais croiser leurs regards, je vais leurs demander de passer avant eux ? Je ne sais pas ! Peut-être un jour les scientifiques nous apporteront ils la réponse…



Parfois, il m'arrive de tomber sur une personne qui dans un élan de bonté retire ses montagnes de produits du tapis de course pour me laisser passer devant elle. C'est vraiment adorable, mais je n'en demande pas autant. Je n'abuse jamais de cet avantage. Lorsque je demande à passer prioritaire, c'est bien souvent que j'ai une séance de kinésithérapie derrière où que je me sens très mal. Le reste du temps j'attends, comme tout le monde, et j'ai tout le loisir d'observer des dizaines d'adultes de tout âge inspecter leurs chaussures avec un intérêt sans borne. Seuls les enfants soutiennent mon regard et les sourires que nous échangeons valent parfois bien des conversations.


Un autre de nos avantages très envié : l’accès à des places de parkings réservées… Enfin, quand elles sont libres ! C’est fou comme certains jours particuliers (le jour des soldes ou bien durant la période de noël par exemple) il y a une recrudescence de personne handicapés ayant égaré leurs cartes de stationnement prioritaire.  L’intérêt vital pour nous de ce genre d’emplacement, en plus de leurs proximité avec le lieu concerné (ce qui est bien pratique lorsque toute déambulation est pénible ou douloureuse) c’est notamment la grande place qu’on y trouve. Car un véhicule capable de stocker un fauteuil roulant, surtout un fauteuil roulant électrique, doit forcément être un très grand véhicule, le genre de véhicules trop haut pour rentrer dans les parkings sous terrains et trop imposant pour se garer sur les places citadines usuelles. Lorsque vous avez un rendez-vous important, que les trois malheureuses places handicapés sont prisent et pas toujours par des personnes concernés, et que votre voiture est trop grande pour se garer en un autre lieu, que vous tournez durant une demie heure dans la ville à la recherche d’un solution (oui, oui, c’est du vécu !) et qu’au final vous arrivez très en retard sur le lieu de rendez-vous pour vous rendre compte qu’il n’est pas accessible et que vous ne pouvez pas rentrer… Oups, pardon je m’égare de mon thème !

Là où j’ai était vraiment surprise, c’est lors de ma dernière visite au centre hospitalier lorsque le vigile à l’entrée du parking réservé ma demandé de lui donner ma carte en main propre. Les cartes de stationnement PMR sont placées sur le pare-brise à la vue de tous. Le vigile l’avait bien vu, mais il a demandé à la prendre en main. Ma mère dû se courber et se démener pour aller la chercher tout au bout du pare-brise de notre grande voiture (grand fauteuil à transporter, donc grande voiture si vous avez bien suivi) pour aller  pêcher (non le terme n’est pas vraiment exagéré ! ) la fameuse carte.

Le vigile s’en saisit, inspecte le filigrane au dos et me la rend en s’excusant…


Devant notre mine surprise, il nous a expliqué qu’il avait ordre de contrôler l’authenticité de ces cartes depuis qu’une large tendance s’était répandue dans la France : imprimer de fausses cartes sur internet pour subtiliser les places PMR… Si certains d’entre vous sont choqués par cette révélation, attendez de lire la suite !


Dans les parcs d’attraction, le double privilège de ne pas faire la queue aux attractions et celui d’avoir un tarif préférentiel attise la jalousie. Pourtant, ce que beaucoup ignorent, c’est qu’il a un coût conséquent… J’ai de par mon état le statut de « personne à la santé fragile Â». Ce statut m’interdit l’accès à beaucoup d’attractions qui pourraient être dangereuses pour moi, un risque que ne peut prendre le parc. Lorsque j’arrive au grand parc Français célébrant la petite souris américaine, c’est toujours la même chanson : je suis reçue dans un petit bureau, loin des paillettes et des jolis portails d’entrée qui mettent dans l’ambiance, dans le but de faire des papiers. Une fois les formalités accomplies on me remet le plan avec l’interminable liste des attractions que l’on peut faire dans le parc, le même plan que vous pourriez avoir en y allant… Puis, parallèlement, on me donne une autre liste, très petite celle-ci, avec les attractions que j’ai le droit de faire réellement.


La dernière fois que je me suis rendu dans ce parc d’attraction, j’ai discuté avec le responsable du service d’accueil aux PMR et voici ce qu’il me dit : certains vont jusqu’à acheter un fauteuil roulant manuel (le premier prix) pour se rendre au parc et se faire passer pour une personne à mobilité réduite… Dans le but d’obtenir un tarif préférentiel bien sûr ! Si, si, ça existe, et plus qu’on ne le pense… Je vous le promets.


Ce qui m’a le plus marqué durant mon séjour au royaume uni, c’est que les anglais n’ont pas ce système de carte justificative PMR, ou du moins n’est-elle pas aussi ancré dans les esprits, puisqu’il suffit de se présenter dans un lieu public et de déclarer notre handicap pour accéder à certains de nos « privilèges Â»â€¦ Je leur ai demandé, surprise, s’ils n’avaient pas peur que quelqu’un leurs mente et abuse de la situation… On m’a répondu, choqué :

« Mais qui oserait faire une chose pareille ? Â».


Oui, on se le demande bien…

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A la recherche des super-héros

Margaux-G

Est-ce parce que nous avons une vision plus étendue de la vie ? Où la conscience précoce de sa finitude ? Quoi qu’il en soit, la plupart des gens atteints de maladies génétiques évolutives comme la mienne, que j’ai pu rencontrer, sont tous d’avis de profiter au maximum de la vie avant qu’elle ne s’arrête. C’est à mon sens comme cela que chaque être humain devrait pouvoir vivre. Ce n’est pas toujours aussi simple, cela nécessite avant tout une certaine liberté, ce dont tous les peuples de la terre ne jouissent pas, et une prise de conscience. Pour la plupart d’entre nous, la prise de conscience a était la maladie. Je connais même certaines personnes qui sont atteintes d’une myopathie à forme tardive, celle-ci s’étant déclarée à cinquante ans par exemple. Ces personnes ont avoué qu’elles profitent plus de la vie, malgré le handicap, qu’elle ne l’avait encore jamais fait auparavant, alors que tout était encore facile. 
Et oui, faire des choses, bouger, partir à l’aventure, découvrir le monde, que ce soit très loin où juste à côté de chez soi, tout cela est très difficile à organiser et à mettre en œuvre lorsque le handicap est de la partie… J’essaye de prévoir un maximum de choses avant chacun de mes déplacements, cela représente souvent un travail colossal (vous verrez cela dans une prochaine chronique), cependant, il y a toujours une part d’imprévu non négligeable qui vient s’immiscer et transforme parfois une simple visite dans la famille en un interminable périple où les galères s’enchaînent. Alors parvenir au terme de son voyage et être arrêter par une simple marche ou une voiture garée sur le seul endroit où le trottoir d’en face est assez bas pour que je puisse y accéder, c’est rageant. Lorsque l’on est face à ce genre de situation, il ne reste plus qu’à faire demi-tour… Quand on le peut encore !


C'est précisément ce qui nous est arrivé à ma mère et moi, un soir alors que nous sortions du cirque. Nous étions allés voir le spectacle d’une célèbre famille d’artiste qui passe chaque hiver dans notre ville. Après deux heures trente de spectacle nous retournions à notre voiture, des étoiles encore plein les yeux. Elles se sont vite transformées en étoiles filantes lorsque nous nous sommes rendu compte que le bateau par lequel nous étions montées sur le trottoir en arrivant était rendu inaccessible par une voiture garée là. Le cirque et son entrée sont élevés sur un haut promontoire de bitume par lequel on accède en montant un grand trottoir, beaucoup trop haut pour un fauteuil roulant électrique. Une petite cassure permettait d’y accéder, mais hélas, celui-ci était à présent inutilisable, et sans bateau, impossible de redescendre. Nous nous sommes dit qu’en longeant le trottoir, nous trouverons bien un autre endroit pour descendre. Hélas, nous en avons fait tout le tour sans en trouver un seul. Le seul accès venait d’être transformé en place de parking privé pour la nuit.


Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est blessant et énervant d’être ainsi bloqué pour 30 centimètres de hauteur, une montagne inaccessible pour moi, alors qu’il ne présente aucunement un obstacle pour le premier bipède venu.


C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés seules, à vingt-trois heures trente du soir, dans cette partie peu fréquenté de la ville, en plein hiver, non loin d’un parc connu pour son atmosphère et ses visiteurs inquiétant la nuit venue. A deux femmes coincées sur ce trottoir, tel des ours polaires sur leur minuscule morceau de banquise fondue, nous commencions à être inquiètes.


C’est alors que nous avons entendu du bruit : des voix fortes et des rires tonitruants. Un groupe de trois hommes assez costaud sont arrivés. Nous les avons regardé passer, sans trop savoir si les arrêter nous serait salutaire ou empirerait la situation. Au final le dilemme fut de courte durée : c’est eux qui sont venu nous voir, les dés étaient jetés… Ces personnes nous ont gentiment proposés leur aide et ont soulevé mon fauteuil pour me permettre de quitter enfin ma prison à ciel ouvert. Je crois que sans leur intervention, j’y serais encore aujourd’hui !


Quand je repense à cette soirée, je me dis qu’elle reflète bien, en une petite mesure je le concède, un échantillon de ce dont l’humanité est capable. Si ma mère et moi étions dans cette périlleuse situation, c’était à cause d’un conducteur bien irréfléchi qui s’était garé là… Et si nous avons pu repartir chez nous, c’est bien grâce à ses quelques personnes qui sont venus nous aider à descendre. Certaines personnes tentent de rattraper les erreurs de leurs comparses, c’est précisément là que toutes les bonnes histoires de super-héros telles qu’on peut en lire dans les comics prennent leurs source ! Ce soir-là, dans mon imaginaire d’enfant, ces trois personnes ont étaient mes super-héros !


Quoi de mieux pour voir de célèbres super héros que d’aller au Comic Con, ce grand festival de pop culture ? Lorsque j’ai appris que la France organisait cet événement, je n’ai pas hésité longtemps avant d’acheter mon billet. Le rassemblement de fans se tenait à Paris et j’avais décidé de m’y rendre avec des amis. C’était bien l’une de mes premières sorties aussi loin sans mes parents, c’était en quelques sorte, pour mes amis et moi, le baptême du feu !


Lorsque nous sommes arrivés devant le premier panneau du festival, nous indiquant que nous n’étions plus qu’à cinq minutes de marche du bâtiment, nous étions très fiers de nous. Le cœur gonflé de joie, nous étions heureux de nous en être si admirablement bien tiré pour en arriver jusque-là. Nous découvrîmes cependant bientôt que le chemin que nous avions suivit (qui nous avait était indiqué comme le plus simple et le plus accessible) ne nous faisaient pas arriver sur les lieux par la grande porte, mais par l’arrière, loin de la foule. Et entre nous et le festival, coulait la seine… Il y avait une passerelle à trois étages permettant de traverser l’obstacle. A droite un escalier, à gauche, un ascenseur. Il fallait monter sur la passerelle avec le premier ascenseur pour se tenir au-dessus de l’eau, traverser la passerelle, puis emprunter un second ascenseur pour redescendre, et parvenir ainsi de l’autre côté. Oui par ce que les ascenseurs ne vont que dans un sens, un pour monter, un pour descendre, c’est plus pratique ainsi ! Un vrai jeu vidéo de plateforme ! … Qu’à cela ne tienne ! Le temps de mettre ma casquette rouge et on y va ! Here we go !


Nous avons pris le premier ascenseur, avons traversé la passerelle, jusqu’ici tout allait bien. Sauf qu’au moment de prendre le second ascenseur pour redescendre, nous nous rendîmes compte que celui-ci était en panne ! Nous avons donc rebroussé chemin pour reprendre le premier par lequel nous venons afin de revenir à notre point de départ et de trouver un autre chemin. Cela nous paraissait la meilleure option… Vous ne devinerez jamais ! Le premier ascenseur, en l’espace de cinq minutes de temps était lui aussi tombé en panne et refusait de s’ouvrir, comme son confrère d’en face. Voilà comment on se retrouve bloqué sur une passerelle à quatre mètres au-dessus de l’eau pour une durée indéterminée… Mes deux amies qui m’accompagnaient n’auraient hélas pas pu faire grand-chose à eux tout seul et comme nous nous trouvions sur la route que personne ne prenait pour aller au festival, nous aurions pu attendre longtemps ainsi.


C’est alors que surgirent deux hommes, a qui ont avait visiblement indiqué aussi le chemin le plus « simple et accessible » pour aller à la Comic Con. Comment je savais qu’ils y allaient ? Élémentaire mon cher Watson ! Le premier était déguisé en Batman et le second en Superman ! Nous nous sommes regardés avec mes amis… Drôle de vision… Mais visions ô combien salutaire ! Lorsque nous leur avons expliqué notre détresse, Batman et Superman s’empressèrent de nous aider à porter le fauteuil pour descendre la volée de marche qui nous séparait du festival. Après avoir vivement remercié nos héros, nous nous sommes rendus à la Comic Con tandis que Batman et Superman retournaient se battre avec le Joker… Ou aider d’autres personnes en fauteuil roulant bloquées au-dessus de la seine… A voir !


Chacune de mes sorties ont un goût d’expédition dans les tréfonds de Gotham, ou de perdition sur la planète Krypton… Cependant je ne conçois pas mon existence à rester assis à attendre chez moi, simplement parce que dès que je mets le nez dehors, tout se complique. Je vous le concède, si je décide d’aller chercher une baguette de pain chez le boulanger, je pourrais rester bloquer sur un trottoir, des marches pourraient m’empêcher d’accéder au lieu, je pourrais ne pas trouver de bateau… En d’autre termes, il y a des chances pour que je rentre bredouille, alors que je pourrais très bien demander à quelqu’un de ma famille que l’on m’apporte du pain et je serais sûre de le voir trôner sur ma table à midi… Mais si je fais cela, je laisse le handicap m’enlever ce que j’ai de plus précieux : ma combativité et mon esprit… Essayer, se battre, c’est une manière de le défier ! Et puis, j’ai peut-être trop foi en l’humanité, mais en cas de situation désespéré, je suis certaine que les super-héros ne seront pas très loin pour me venir en aide… !

Je n’ai cité que ces deux exemples car ils sont peut-être ceux qui m’ont le plus marqués, mais il y aurait quantité de personnes que je pourrais remercier, ces inconnu(e)s qui n’ont pas hésité à venir apporter leur aide et qui m’ont, de par leur intervention, tirer de bon nombres de mauvaises situations…


Merci à ses supers héros d’un jour, qui sont simplement comme vous et moi, et qui ont rendu leur dénouement heureux à chacun de mes voyages.

Marcher est un grand pouvoir… Et un grand pouvoir implique de grandes responsabilités…


Excelsior !


Encore une chose ! La production tiens à préciser qu’aucun mauvais conducteur ou concepteur d’ascenseur n’a était maltraitée lors de la rédaction de cette chronique… Et que le Joker court toujours !

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Le faux chien guide d'aveugle

Margaux-G

Je m’en souviens encore comme si c’était hier : en décembre 2014, lors d’une cérémonie très officielle au centre Handi-Chien d’Alençon, on me confia la fameuse laisse de corde tressé bleu et jaune avec au bout, un grand labrador noir aux doux yeux ambrés. Hélios, dieu du soleil n’allait cesser d’éclairer mon chemin depuis cet instant.

​

Hélios, c’est mon chien d’assistance. Il existe bon nombre d’exemple de zoothérapie à travers le monde.  Ce concept très prometteur de soigner l’humain au contact de l’animal est en pleine expansion, et si l’exemple du chien guide d’aveugle est le plus connu, il existe bien d’autres types de métiers pour ces chiens d’exception. Nous pourrions citer par exemple les chiens éduqués pour prévenir leurs maîtres souffrant d’épilepsie de l’imminence des crises, ou les chiens d’accompagnement social, foulant de leurs pattes les structures médicales et les maisons de retraite pour apporter, soutient et soins thérapeutiques aux pensionnaires.  Il existe également les chiens d’éveil qui obtiennent des résultats époustouflants  auprès de leurs petits maîtres souffrant d’autisme…


Hélios a tant de collègues aux missions diverses qu’il serait trop long de tous les dénombrer. Aussi je vais plutôt m’étendre sur la profession de mon chien d’assistance. Hélios m’accompagne au quotidien dans tous mes déplacements. C’est un chien d’assistance pour personnes à mobilité réduite, ils accompagnent les personnes souffrant de lourd handicap moteur et comblent leur manque d’autonomie. Hélios m’aide à ouvrir les portes, à ramasser des objets tombés au sol, à attraper des choses trop hautes ou trop basses pour moi, à effectuer les transactions à ma place lorsque les comptoirs des magasins me sont inaccessibles… Il peut également prévenir et aller chercher des secours lorsque j’en ai besoin, allumer ou éteindre les lumières, m’aider à me déshabiller… Et je fais vite… Hélios à rapidement transformer mon quotidien. Le simple fait de pouvoir sortir au dehors, seule avec mon chien sans me poser de questions, vous ne pouvez pas savoir à quel point cela change une vie…


Je vous ai expliqué ce qu’Hélios était…

Mais le but réel de cette chronique est plutôt de vous expliquer ce qu’Hélios n’est pas. Au cours de nos ballades, nous entendons souvent des théories farfelues de passants qui nous observent, ces théories sont bien souvent fausses… Vous allez comprendre !


Voici donc quelques-uns de ces discours, prononcés sur notre passage, qui nous ont bien fait rire… De mémoire de labrador, on a rien entendu d’aussi absurde !


La première anecdote qui me vient remonte au printemps dernier, alors que nous étions en voyage géologique à Cherbourg, dans le Cotentin, avec ma classe préparatoire. Nous attendions que mes camarades aient fini de récolter des fragments de roches dans les falaises, activité qui m’est difficilement accessible, comme vous devez bien vous en douter. Nous avions décidés de mettre ce temps libre à profit pour visiter la région. C’est sur les hauteurs surplombant la baie des Calgrins que nous croisâmes la route d’un groupe de randonneurs. Le groupe passa devant nous, nous souhaitant une agréable journée, lorsqu’un monsieur s’arrêta soudain pour nous dévisager. Il observait Hélios avec beaucoup d’attention, le regard concentré. A fixer ainsi le sac à dos bleu aux sacoches jaunes reposants sur les flancs avec la mention « Chien d’Assistance Â» brodé en grosse lettres sur toute la longueur, on voyait distinctement qu’il cherchait avec ardeur une explication. Nous attendîmes tous, ne sachant trop quoi dire.  Soudain, son visage c’est éclairé et juste avant de repartir à la suite de ses amis, je l’entendis s’exclamer : « Bien sûr, comment n’y ait-je pas pensé plus tôt ? Un chien avec un sac jaune et bleu… C’est forcément un chien de la poste ! Â». C’est vrai que maintenant, la poste emploie beaucoup de personnes en situation de handicap moteur… Avec leurs chiens et leurs fauteuils roulant électriques, le courrier est acheminé plus rapidement !


Je pensais tenir là l’une des rencontres les plus étranges autour d’Hélios, mais le destin m’en réserva une autre quelques mois plus tard. Nous accompagnions ma maman à une exposition féline au nord de la France. Vers midi, les allées bordées de cages étaient bondés, l’exotisme de cette sortie du dimanche ayant attiré beaucoup de familles et de curieux. Je tentais de me frayer un chemin entre les promeneurs pour emmener Hélios au dehors afin qu’il puisse faire ses besoins. En nous voyant, la foule s’écarte pour nous laisser accéder à la sortie. Une dame d’un certain âge se fige soudain, restant sur notre passage sans daigner nous laisser passer. Elle me regarde d’un Å“il soupçonneux. Je lui demande gentiment si elle peut nous laisser accéder. Sa réponse me désarçonna au plus haut point et le dialogue qui s’ensuivit mérite d’être retranscrit ici :


Moi - Excusez-moi madame, pourriez-vous nous laisser passer s’il vous plait, j’ai besoin d’emmener mon chien au dehors…


Elle – C’est un chien guide d’aveugle ?


Moi – Euh non… C’est un chien d’assistance pour…


Elle – Vous êtes aveugle ?

​

Moi – Non, je suis myopathe… C’est déjà pas mal... !


Elle – Comment ça se fait que vous ayez un chien guide d’aveugle si vous n’êtes pas aveugle ?


Moi – Mais ce n’est pas un chien guide d’aveugle madame, vous voyez il est attaché au fauteuil par une laisse bleu et jaune, il n’a pas de harnais orange… C’est un handi chien…


Elle- Vous l’avez volé ???


A partir de là, j’ai estimé que toute tentative d’explication subsidiaire s’avérerais purement inutile.


Étrangement, ce n’est pas un accident isolé, il arrive fréquemment (je dirais à peu près une fois par mois en moyenne) d’entendre des « Oh, un chien guide d’aveugle Â» ou des « Tu vois fiston, la jeune fille est aveugle, son chien est là pour la guider Â».


Hélios en sa qualité de chien d’assistance est admis dans tout lieu public, aucun lieu ne peut lui être refusé d’après la loi européenne. Il n’est arrivé qu’une seule et unique fois  où j’ai dû me justifier. La plupart du temps, nous sommes admis sans aucun problème. Ce jour-là, je souhaitais visiter un musée d’art avec mes grands-parents.  Hélios m’accompagnait bien sûr, comme toujours, et fut hélas, vite repéré par les caméras de surveillance. Un vigile nous reçut, nous demandant de laisser le chien dehors. Je lui ai expliqué sa condition de chien d’assistance et son comportement irréprochable, mais il ne voulut rien savoir. Lorsqu’enfin je lui montrais les textes de lois stipulant le montant de l’amende encouru en cas de refus, il nous laissa finalement accéder. En rentrant dans le hall du musée, le vigile toujours sur nos talons, nous tombons nez à nez avec une femelle labrador de couleur sable. Le vigile va saluer sa maîtresse, une habituée des lieux qui est non voyante. J’observe le vigile, amusé, caresser le chien en l’appelant par son prénom. Je lui demande alors pourquoi avoir fait tant de zèle pour Hélios alors que ce chien guide était apparemment un client fidèle. Il me répondit alors, réellement étonné : « Ah bon ? En  fait c’est comme les chiens guide d’aveugles, votre chien ? Ã‡a change tout ! ».


Ce qui m’étonnera toujours c’est que la troisième question que les gens que nous rencontrons me posent le plus à propos d’Hélios, après le célèbre « Comment s’appelle-t-il ? Â» et le non moins célèbre  Â« Que fait-il pour vous aider ? Â», c’est bien cette question que je trouve étrange : « Et il n’est pas méchant ? Â».

Si par hasard, cette question vous viendrais en tête également, sachez que les chiens d’assistance, avant de suivre une formation de deux ans avec des bénévoles et des éducateurs canins professionnels, sont sélectionné à la naissance pour leur caractère… De manière tout à fait logique, tout est donc fait pour que les chiens dont la loi française autorise l’accès à tous lieux publics (dont les écoles et les hôpitaux), soient les chiens les plus dangereux et les plus sauvages qui soient !


Toutes ces petites anecdotes me font rire et j’espère qu’elles vous auront diverties. Il n’en reste pas moins que répondre à vos questions lorsque Hélios et moi nous vous croisons dans la rue est une expérience toujours très enrichissante qui a conduit à bon nombre de belles rencontres, car malgré la longue liste des toutes les tâches que peut effectuer mon chien pour me rendre service, celle qu’il a en commun avec tous ses collègues canins, qu’ils soient guides d’aveugles, chien d’éveil ou autre, la plus noble et la plus magique qui soit, restera toujours celle de cacher la maladie et d’évincer la barrière du handicap, et ça je m’en rend compte chaque jour, lorsque vous vous arrêtez pour discuter avec moi, autour du bel Hélios qui ne se lasse pas de se faire admirer.

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C'est mon chien qui paye

Margaux-G

Il y a peu, dans une précédente chronique (Le faux chien guide d’aveugle), je vous avais présenté Hélios, un magnifique labrador noir qui est en réalité mon chien d’assistance. J’avais évoqué différentes anecdotes et croyances tenaces dans les esprits des gens sur son véritable rôle. Nous avions donc revue ensemble certains aspects de sa formation et quelques exemples de ce qu’il était capable de m’apporter comme aide au quotidien. Il y en a une que j’aimerais développer aujourd’hui avec vous, car elle a conduit elle aussi à de nombreuses situations bien cocasses. Comme toute mâle qui se respecte, Hélios ne porte pas spécialement les journées shopping dans son cœur, et pourtant, il est bien obligé de suivre en bougonnant puisque cela fait bel et bien partie de ses fonctions. En effet, il y occupe une fonction primordiale, lorsque je suis seule pour effectuer mes achats, et que les comptoirs pour payer sont trop haut pour mon fauteuil, les transactions du type « voilà mes articles – merci beaucoup, ça fera tant- je vais payer par carte bleue – avez-vous notre carte de fidélité ? – Tenez voici vos achats » deviennent bien vite compliqués à effectuer. A vrai dire, je pense qu’il n’y a que trois solutions pour contourner ce problème :


1) Ne plus payer les articles dans les magasins, mais cela constitue un problème morale bien plus grave encore à régler.


2) Ne plus faire les magasins et tester un nouveau régime alimentaire à base d’eau exclusivement.


3) Trouver quelqu’un d’autre pour payer à votre place !


J’ai bien sûr opté pour la troisième option qui me parait la meilleure à tout point de vue. Ainsi donc je peux faire les boutiques autant que je veux, c’est mon chien qui paye ! Trêve de plaisanterie, c’est hélas bien ma carte bleue que je lui donne, le banquier n’ayant pas voulu ouvrir de compte à Helios… Grâce à mon chien d’assistance, les transactions au comptoir se font sans problème. Il prend mes achats dans sa gueule, se dresse sur ses deux pattes arrières, pose ses deux pattes avant sur la caisse, tends les articles aux vendeurs. Il redescend ensuite pour prendre le portefeuille qu’il tend à nouveau à la personne qui tiens la caisse et enfin, récupère le portefeuille (personnellement je trouve cette étape assez importante pour ne pas l’oublier !) et le sac contenant mes achats.


Tout est parfaitement bien orchestré à présent, nous avons l’habitude de travailler ensemble, mais il est vrai que cela ne fut pas toujours ainsi. Nous étions en décembre, notre binôme venait de se former et nous faisions les boutiques pour la première fois dans ma ville. C’était là un spectacle peu courant par chez nous et les magasins étaient bondé dû à l’imminence de la fête de Noel. Pas encore bien habitué à travailler ensemble, nous avons eu notre premier loupé à la caisse d’un grand magasin de décoration, sous l’œil attentif d’un quart de la ville…


Fiers de notre première mission ensemble, Hélios et moi suivions mes parents qui avaient décidé d’investir dans une magnifique parure de couette qui leur avait tapé dans l’œil depuis un moment. Au moment du paiement, sûre de moi, je décide de proposer à ma mère de faire travailler Hélios afin qu’il donne lui-même le portefeuille à la vendeuse. Autour de nous, un grand nombre de personne nous observe, l’info était passé parmi eux qu’il s’agissait d’un chien d’assistance et qu’ils allaient sans doute assister à quelque chose d’exceptionnel… Étais-ce la pression d’avoir un si grand public qui suivait chacun de ses gestes, ou bien le montant à payer qu’affichait le petit écran lumineux en face de lui était -il beaucoup trop important selon lui ? Je n’en sais trop rien, toujours est-il qu’après avoir saisi le portefeuille et s’être mis debout à la caisse, Hélios eu un moment de doute… Tout à coup, alors que la vendeuse avançait le bras pour prendre le portefeuille de la gueule du chien sous l’œil admiratif de la foule, Hélios redescendit et parti en hâte vers les portes extérieures, le portefeuille toujours dans sa gueule. Les gens présent à la caisse qui avaient arrêté leurs achats pour nous observer, pressentant quelque spectacle hors du commun avaient vu juste : peu de personne peuvent se vanter d’avoir déjà observé une myopathie en fauteuil roulant « courir » derrière son chien d’assistance pour récupérer son portefeuille… !


Je vous rassure, nous avons fait beaucoup de progrès tous les deux, nous avons appris à travailler ensemble depuis et l’épreuve du paiement en magasin (avec ou sans public) ne nous pose plus aucun problème ! Encore faut –il pouvoir rentrer dans les magasins, ce qui n’est hélas pas toujours gagné.


Les chiens d’assistances sont autorisés par la loi a rentrer dans tous les lieux publics et les magasins ne font bien sûr pas exception, hélas parfois la méconnaissance de la mission de ces chiens exemplaires est telle que l’on tombe sur certaines personnes qui nous refuse l’accès. Bien souvent, le problème se solde de lui-même lorsque l’on récite le petit texte de loi avec le montant de l’amende encouru si le refus persiste, mais les discussions initiales sont parfois bien drôles, en voici un petit échantillon.


Toujours à l’approche des fêtes de fin d’années, effectuant quelques achats, j’entrais innocemment dans une boutique vestimentaire avec mon chien, nos papiers en règle, sa carte d’identité de chien d’assistance reconnu par l’état français pour lui et pour moi, la carte d’attestation garantissant que je suis habilitée à gérer mon chien. La cape bleue océan de chien d’assistance bien ajusté sur le dos d’Hélios et la laisse de corde tressé bleue et jaune nous reliant tous deux ne suffit pas cette fois ci. La gérante du magasin s’avança vers nous et nous tiens à peu près ce discours :


-« Bon, il faut que je vous avertisse, normalement les chiens sont interdits dans notre boutique, mais au vu du contexte festif, nous sommes heureux de vous annoncer que nous vous autorisons à rentrer exceptionnellement avec votre chien. En temps normal c’est interdit, mais là c’est bientôt noël alors pour cette fois, c’est bon… ».


J’étais tenté de lui expliquer que son acte de générosité était un fait un simple respect de nos lois, mais je me suis ravisé, cette dame avait vraiment l’air d’être contente de sa bonne action du jour. Alors je la remerciais vivement tout en promettant intérieurement de revenir dans sa boutique en janvier !


Dans une autre boutique où je me rends souvent, ce genre d’enseigne où l’on trouve tout et n’importe quoi, j’ai souvent eu de longues discussions avec les deux responsables de la sécurité, que j’appelle affectueusement Tic et Tac. Pourquoi ? Parce qu’ils se ressemblent tellement qu’on jurerait qu’ils sont frères et qu’ils passent leurs journées à se chamailler à propos de tout et de n’importe quoi, à l’image des deux écureuils du dessin animé de mon enfance. Dès leur arrivé, nous avons pourtant mis les choses au clair : après avoir expliqué à « Tic » puis, le mois d’après à « Tac » la légitimité de la présence d’Hélios dans leur magasin, j’observais de loin toujours le même manège à chacun de nos passages : Tic (ou Tac) qui voulait venir me voir pour me demander de sortir le chien du magasin et Tac (ou Tic) qui tenter de l’en empêcher :


-Je te dis que c’est un chien qui travaille

-Peu importe, c’est un chien, les chien n’ont pas le droit d’aller dans les magasins

-Oui peut être mais lui il a droit !


Je les laisse se chamailler et en règle générale, je ne suis pas importunée durant mes courses, mais la dernière fois, l’un des deux acolytes n’était pas là pour empêcher le premier de faire sa loi. Nous avons donc été interpellés et inviter à sortir le chien du magasin sous prétexte qu’il n’avait pas de muselière. Devant l’entêtement du vigile, nous avons attendu avec lui l’arrivée de la responsable du magasin qui s’excusa aussitôt pour l’ignorance de son employé. Lorsque nous le revîmes devant la caisse, une fois nos courses achevés, tandis qu’il observait Hélios qui réalisait les transactions au comptoir, mon père ne put s‘empêcher de lui lancer ironiquement :


-« Cela aurait était compliqué pour lui de faire cela avec une muselière ! »


Bien loin de partager le même sens de l’humour que les écureuils du dessin animé, l’homme n’a pas souri.

Il y a peu on m’a demandé quelque chose d’encore plus saugrenue pour négocier l’accès au chien… La gérante du magasin m’a dit d’un ton très sérieux :


-« Nous acceptons votre chien si vous le portez à bras… ». Mon regard est passé de mon interlocutrice à mon labrador de quarante kilos... C’est-à-dire, mon propre poids ! J’imaginais déjà la une des journaux : une jeune myopathie fait les magasins avec son labrador d’assistance dans les bras !

A contrario, le gérant d’un autre magasin est venu à ma rencontre pour me dire :


-« Vous pouvez détacher la laisse de votre chien, il sera sans doute moins gêner pour travailler. »



Toutes ses petites anecdotes ne sont que des incidents isolées au regard du nombre de lieu où nous rentrons tout deux sans aucun problème. Signalons tout de même que si Hélios ronchonne à l’idée de nous suivre dans les boutiques de vêture, il est beaucoup plus enclin à nous accompagner dans les animaleries. C’est tout de même un des rares chiens à pouvoir choisir lui-même ses jouets et ses friandises directement dans les rayons !

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Ma carrière sportive

Margaux-G

Ah les années lycées ! Les cours, les amis, les doutes et les incertitudes. Les grandes questions semées sur les bords du chemin tortueux de l’orientation. Ballottés par les caprices de l’adolescence, les utopies enfantines qui nous susurrent des noms de métiers inaccessibles, la pression académique qui s’est donné pour mission de tout catégoriser, deviennent de véritables nuisibles dans vos jeunes pensées.


Quand on se sent perdus, on demande conseil. Les réponses du corps professoral ne se distinguent pas pour leur originalité : « Vous êtes doué pour l’art des mots ? Félicitations ! Vous êtes littéraire ! Vous êtes plutôt sensible aux chiffres ? Vous serez scientifique !


Mais comme tout système de tri possède des inclassables, mon cas a posé quelques sueurs froides, semant le trouble dans le sillon de mes interrogations. « Tu es doué pour les deux ? Et tu aimes les deux ? Ah… Â»

Oui… Ah !  Comment faire ? Facile ! On demande au gourou de l’avenir : le conseiller d’orientation.


J’eu donc l’honneur d’échanger avec bon nombre d’entre eux, leur demandant à chaque fois comment concilier le handicap avec mes projets futurs. Chaque entrevu pourrait se classer en deux courants :

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  • Discours A :

« Vas y ! Fais-le, tout est possible ! Vétérinaire ? Où est le problème ? Ah. Tu ne peux pas opérer ? Tu ne peux pas porter ? Tu n’as aucune motricité fine ? Pas de tonus musculaire ? Humm… Ah ouais c’est vraiment invalidant ton handicap alors… Â»


  • Discours B :

« Evidemment que non, c’est tout simplement impossible ! Enfin je veux dire, c’est bien d’avoir des projets mais il faut rester réaliste… Vu votre situation… Avec un tel handicap il n’y a pas beaucoup d’options… Â»


Fatigué de slalomer entre des discours colorés teintés de la méthode Walt Disney et les visions défaitistes d’un fonctionnaire désabusé, je multipliais les avis dans l’espoir que l’un d’eux se démarque. Leur nombre vous découragerais aussi je vous fais grâce des détails, il y a néanmoins un entretien qu’il me faut vous narrer tant il a repoussé les limites de l’originalité.

Ce rendez-vous avait pourtant commencé comme tous les autres : je me retrouvais pour la n-ième fois à remplir l’interminable questionnaire d’un logiciel qui m’a-t-on assuré, pourrait m’indiquer la carrière qui me correspondrait le mieux. J’étais préparée à beaucoup de choses mais définitivement pas à ça ! Aussi la surprise passé, je ne pus retenir mon rire lorsque le conseiller d’orientation m’annonça très sérieusement le verdict, comme pour confirmer ce que je venais de lire sur l’écran pixelise: « CARRIERE SPORTIVE Â».

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S’en suivit un long silence consternant lorsque je pris conscience qu’il ne plaisantait pas.

Sans doute est-ce là mon principal défaut mais voilà, mon premier réflexe fut de lui tendre la main. Dans un élan de confiance envers le genre humain, j’allume mon fauteuil roulant qui fait un signal strident, et je réajuste lentement la position de mon dossier, sous son regard attentif.


Il observe attentivement mon fauteuil, détaille mon handicap… Il ouvre la bouche, une lumière peut être ?

-« On va voir comment organiser ton plan d’avenir… Voyons, voyons, dit-il en fouillant dans ses papiers. Voyons quelle est ta moyenne de sport… Â».

Mon deuxième réflexe était cette fois-ci, universel : j’ai cherché partout dans la pièce l’emplacement des caméras cachées.


Mon interlocuteur a fini par trouver mon bulletin :

-« C’est étrange ça, je n’ai pas de moyenne pour toi, c’est écrit ici que tu en es dispensé… Dis-moi, ça fait longtemps que tu es dispensé de sport ? Â».


Bon, je masque mon dépit avec un petit sarcasme :

-« Dites-moi, pour être diplômé  conseillé d’orientation, vous ne devez pas passer un test de logique ? Â»

Notre ami acquiesce en fronçant les sourcils. Il ne saisit pas le sens de ma question. Lorsqu’enfin je me décide à lui expliciter le nÅ“ud du problème, sa capacité à rebondir fut étonnante :

-« Vous savez, mademoiselle qu’il existe des jeux paralympiques ! Â».


Oui, en effet monsieur, je le sais bien, ce sont des sports adaptés aux personnes qui sont paralysés d’une partie du corps, rarement pour des personnes myopathes dont tous les muscles sont défaillants !


Étrangement, je ne  me suis pas orienté vers le sport lorsque j’eu à valider mes choix d’avenir. Et pourtant, le domaine sportif me réservait encore quelques surprises. Lors de l’année de passage de mon bac, notre cher pays administratif m’imposa une formalité plutôt absurde.


Je fus convoqué par la professeure de sport de mon lycée un beau matin. Elle m’indiqua que si je n’apportais pas un justificatif médical de dispense de sport, j’obtiendrais un zéro pointé dans ma moyenne de bac.

Absurde ? Oui, mais non moins obligatoire. Donc je suis allé voir ma neurologue exprès pour obtenir ma dispense en bonne et due forme, puisque visiblement, un bout de papier signé de concert par un médecin, un professeur et un infirmier scolaire  justifie mieux qu’un fauteuil roulant électrique de 200 kg.  


Le précieux papier en poche, je retournais le transmettre à une de m

es camarades afin qu’elle puisse le remettre au professeur de sport, le gymnase étant un lieu rendu complètement inaccessible par deux marches. Ma pauvre messagère subit les foudres du dit professeur, qui avait trouvé ma démarche de passer par un intermédiaire, tout à fait irrespectueuse. Apparemment, le respect ne tiens parfois qu’à une marche ou deux…


Mais ma véritable erreur dans toute cette affaire fut, une fois de plus, d’avoir eu trop confiance. A quelques semaines du bac, je pensais cette absurde histoire de justificatif loin derrière moi. Elle me rattrapa pourtant rapidement lorsqu’il vint à mon oreille que ma situation n’avait toujours pas était régularisé.


La cause ? Je la découvris au terme de ma petite enquête : la professeure de sport ne voulait pas apposé sa signature au fameux document. Et ce refus avait une raison des plus incongrus :

Le médecin n’avait pas indiqué la date de fin de dispense !



Voyez donc comme la vie est surprenante : Dix-huit ans dans une vie de myopathe, a rencontrer chercheurs et médecins, pour un jour apprendre que les maladies neuromusculaires peuvent se guérir avec un peu de patience, à la manière d’une entorse !

Hélas, si vous tenez à le savoir, ma maladie génétique ne s’est pas guérie pour le bac… mais l’espoir fait vivre !


En attendant, je peux toujours m’inscrire aux prochains J.O…

Paralympique bien sûr !

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Le SAV des fauteuils roulants

Margaux-G

Je ne doute pas de nos nombreuses convergences. Vous et moi sommes semblables sous bien des aspects. Mais il y a néanmoins une différence primordiale qui nous oppose. Je ne crois pas me tromper en affirmant que vous n’avez jamais eu à appeler votre médecin en ces termes : 
-« Oui, allo docteur, j’ai un gros souci, je suis un peu désemparée… Voilà, mes jambes ne répondent plus. Elles ne veulent pas fonctionner… ».

Ou encore : -« Oui, c’est encore moi. Ça pourrait aller mieux ! Mon pied gauche vient de se détacher de mon corps… Oui j’attends… ».


Cette expérience inédite pour vous (à moins que vous ayez de sérieux soucis d’anatomie), fait hélas partie de mon quotidien. Mes jambes à moi ont été substituées par mon fauteuil roulant. Et ce fauteuil présente toutes les caractéristiques de la glorieuse technique dont peut faire preuve l’humanité : la technologie, l’utilité, la performance, le confort, l’obsolescence programmée… !


Mon fauteuil roulant électrique a tout d’une vraie petite voiture, même son prix… Hélas les 30 000 euros qu’il m’a fallu réunir pour l’acquérir n’ont rien d’un achat superflu puisque de cette somme astronomique qu’il faut débourser environ tous les cinq ans (longévité moyenne de la bête) et que je ne possède bien évidemment pas, dépend ma mobilité, ma liberté, mon autonomie et donc, mon intégration dans la société humaine… Rien que ça !


Acquérir une telle somme relève de l’exploit. Il faut pour cela faire du porte à porte auprès de toutes les institutions d’aides sociales de notre pays, y déposer pour chacune un dossier conséquent dont la plupart des pièces se perdront en chemin, attendre patiemment (entre 6 mois et un an) une réponse qu’elle soit positive ou non, regarder impuissante la maison départementale des personnes handicapées et la mutuelle se renvoyer inlassablement la balle, attendant que l’une et l’autre donne une réponse… Et lorsqu’enfin cette bataille administrative prend fin et que le fauteuil arrive, la tranquillité n’est pas de mise… Car bien sûr, telle une véritable voiture, le fauteuil peut tomber en panne… et c’est d’ailleurs ce qu’il fait souvent.


Les pannes sont pour la plupart incongrues :

Une vis qui casse et le boitier de commande qui tombe au sol,

Le système électrique qui grille et m’empêche de redémarrer pour sortir des toilettes publiques (commode comme endroit pour appeler les secours),

Le dossier qui se détache de l’assise au milieu d’une route,

Un pneu qui crève le jour d’une hospitalisation (une journée décidément formidable)…

La liste est longue !

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Mais comment faire lorsque l’on est

bloquée de la sorte, incapable de bouger, entravée par un mauvais coup du sort ? On appelle ça, société de dépannage spécialisée… Et c’est là que commencent les quelques anecdotes que voici.


Un lundi midi, quittant la cantine pour retourner en cours, je traverse une route surmontée d’un dos d’âne. A la descente de ce dernier, un bruit métallique peu engageant se fait entendre. Soudain, je sens mon dossier partir brusquement en arrière. Une amie qui m’accompagnait n’eut que le temps de me retenir avant que je ne tombe à la renverse, à cause de la brusque absence de maintien. Elle, tenant le dossier, moi, roulant très lentement, peu rassurées, nous parvenons tant bien que mal à regagner l’enceinte du bâtiment pour quérir de l’aide auprès de notre laboratoire de biologie. Les techniciens y travaillant ont toute ma confiance et se sont empressés d’émettre un diagnostic : la fameuse vis qui tenait le dossier à l’assise venait de vivre ses derniers instants…


Il était 13h45. Je reprenais les cours à 14h00. J’appelle la société de dépannage. Un message vocal m’indique que les services sont inaccessibles avant 14h et qu’en cas d’urgence, il est souhaitable d’appeler l’astreinte.


Je raccroche et j’appelle donc l’astreinte. Une voix agacée répond à ma détresse :
-« Ouais, mais là je vais manger… Bah il est bientôt 14h. Vous pouvez attendre que le service rouvre quoi, parce là dans un quart d’heure j’ai fini quoi… ».
J’attends donc jusqu’à 14h. Je parviens à joindre le service à 14h10 (c’est vrai que ce n’est pas une urgence) où je suis rapidement mis en ligne avec un technicien. Ce dernier m’indique qu’il faudra attendre patiemment son intervention car il va falloir qu’il cherche un fauteuil de remplacement, pour le temps où il devra emmener le mien en atelier de réparation. Cette recherche étant assez chronophage, je n’ai qu’à prendre mon mal en patience. 


Un silence… Puis je lui demande, pleine d’espoir :
-« Pour une vis cassée, vous êtes certain de ne pas pouvoir effectuer la réparation directement sur place ? 
-« Si… Mais non, parce que bon, vous comprenez, il faudra extraire la vis qui est brisée et ça c’est compliqué, je ne peux faire ça qu’en atelier, avec du temps et des outils adéquats… »


J’écoute ce long discours de justifications tout en adressant un sourire à l’un des laborantins qui revient vers moi triomphant, une vulgaire pince dans une main et la vis cassée qu’il vient d’extraire dans l’autre. J’interromps le flot de mots que me lance le réparateur :
-« Si je vous disais que la vis est extraite et qu’il ne reste qu’à en mettre une nouvelle, cela hâtera-t-il votre venue ? ».
Après avoir acquiescé et raccroché, la longue attente commence…


L’intervention rapide de mon sauveur n’aura lieu que deux heures plus tard.

Lorsqu’enfin il arrive, c’est les mains dans les poches que nous le voyons entrer dans le laboratoire. Il se penche vers le fauteuil et constate l’évidence :
-« Ah, oui effectivement, c’est cassé… »
Seul un silence consterné lui répond.
-Bon… continua-t-il… Je vais retourner au camion pour aller chercher mes outils… ». Sur ces paroles pleines de sagesse, il repart, nous laissant méditer sur le fait que les réparateurs de fauteuils roulants n’ont pas le pouvoir de réparer avec leurs mains… Ou par l’opération du saint esprit !


Lorsqu’il fut de retour, nous assistâmes au changement de vis le plus long de l’histoire de la mécanique. Une demi-heure entrecoupée d’un entracte au cours duquel, il se releva pour nous dire tout souriant :
-« En tout cas vous avez de la chance que ce soit moi qui soit intervenu, mes collègues n’auraient pas réussi ».

Rapide et modeste ! Que demander de mieux ?

Ne soyons pas condescendants et savourons la chance que nous avons eue ! Nous sommes tombés sur le seul réparateur de la société capable de changer une vis !


Il me vint à l’esprit une autre fois où je ne pouvais quitter ma chambre d’internat car le fauteuil ne voulait plus rouler sans émettre un bruit inquiétant. Après avoir dû préciser cinq fois que je me trouvais la semaine dans la ville où je faisais mes études et non chez mes parents, ma mère vit débarquer une heure plus tard un réparateur à mon domicile. Apparemment l’information de ma localité n’est pas parvenue jusqu’à lui.


Finalement, cinq heures plus tard, après d’innombrables coups de téléphone de plus en plus véhéments à mesure que s’amenuisait ma patience, je vois arriver un monsieur dans un beau camion portant fièrement les couleurs de la société. 
Soulagée de voir arriver de l’aide, endolorie de ne pas avoir pu bouger de l’après-midi, j’attends avec impatience que mon sauveur vienne à mon secours. L’homme observe les dégâts et fait semblant de s’y connaitre un peu. Il émet quelques hypothèses fantaisistes avant de m’avouer, paniqué :
-« Je ne sais pas du tout… Je ne suis pas réparateur… Je n’y connais rien aux fauteuils roulants moi. Je suis venu parce qu’on m’a demandé de venir mais… Je ne sais pas… ».



Voilà une triste évolution de notre société. Pensez donc à moi le jour où votre vie dépendra de la rapide intervention des secours… Soyez heureux qu’on ne vous envoie pas, à l’image du réparateur qui ne pense pas à prendre ses outils, une ambulance sans équipement médical… Ou bien mieux encore, qu’au lieu d’un médecin, le SAMU finit par vous envoyer un électricien…

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Lèves-toi et marche !

Margaux-G

Au cours de mes expériences en relations humaines, j’ai pu noter que le concept du handicap moteur n’était pas maîtrisé par tous. Certains, notamment confondent le handicap moteur avec le handicap mental et ponctuent leur discours (ralenti à l’extrême pour s’assurer d’être compris) d’un vocabulaire enfantin. Lorsque ce type de personnage s’approche pour me parler, la phrase qui m’est adressée est souvent :
-« Et alors, la petite fille, elle est en quelle classe ? » 


Je n’aime pas me vanter, mais là honnêtement, je ne peux pas m’en empêcher :
- « Je suis en classe préparatoire aux grandes écoles de biologie.
-Ah… ! ».
Et tandis qu’ils laissent échapper une exclamation de surprise, leur conviction la plus profonde sur le handicap s’évanouit d’un coup.

Afin de m’assurer que plus aucune personne n’éprouve le moindre doute, voici un petit « vrai-faux » sur le handicap physique. Vous êtes prêts ?

C’est parti !


(1) Si une personne est en fauteuil roulant, c’est qu’elle est intellectuellement limitée… 
Faux !


(2) Si une personne se déplace en fauteuil roulant, c’est qu’elle a des difficultés à marcher… 

Vrai !


(3) Un handicap moteur se guérit généralement tout seul comme un rhume… 
Faux !


Oui, parce que ça non plus, n’est pas simple pour tout le monde ! La preuve avec ces quelques anecdotes. 
La première m’a appris que, contrairement à ce que disent les croyances chrétiennes, les guérisons miraculeuses ne surviennent pas qu’à Lourdes. Elles peuvent avoir lieu également à la Gare du nord ! Vous ne me croyez pas ? Lisez plutôt ! Un jour, je me rendais chez des amis en Touraine. Ma gare de départ était Amiens et mon voyage prévoyait une correspondance à Paris Gare du Nord. Mais qui veut faire coïncider « voyage en train » et « fauteuil roulant » dit : réservation obligatoire (très longtemps à l’avance). J’ai donc appelé le service spécialisé dans l’accueil des voyageurs en situation de handicap et un employé, s’est occupé de mes réservations. Vous vous doutez bien qu’à raison d’un emplacement fauteuil roulant par train, les places sont chères et sont généralement octroyées à celui qui se lève le plus tôt (ou qui dégaine le plus vite). Oubliez donc les voyages impromptus décidés le matin même sur un coup de tête pour aller rendre visite à sa grand-mère !


Je tiens à préciser que statistiquement, sur le nombre de fois où j’ai sollicité ce service, la SNCF ne m’a que très rarement déçue et je salue les personnes qui ont fait de la réalisation de nos déplacements, leur métier.


Cependant ce jour-là n’était pas un jour comme les autres. Ce jour-là, il était prévu que quelque chose d’extraordinaire devait se passer… D’Amiens à Paris, tout s’est merveilleusement bien déroulé (comme sur des roulettes oserais-je dire !). Seulement voilà, arrivée à Paris pour prendre le nouveau train, il y avait un hic. La réservation de la place handicapée dans le second train n’avait pas été réalisée, et un autre voyageur à mobilité réduite ayant réservé après moi se l’était vu octroyer.

Hélas, malgré le programme prévu par les cheminots, je n’ai fait l’objet d’aucune guérison miraculeuse à la gare parisienne et mon fauteuil roulant m’a suivi tout de même jusqu’à Tours. 
Dommage… En même temps personne ne m’a dit quelle eau devais-je boire ! Était-ce la Cristalline du Relay ou la Volvic de la sandwicherie qui était censée me guérir ? A Lourdes au moins, ils expliquent la marche à suivre !


Non, désolée de vous décevoir mais il est établi que dans le monde réel, lorsque l’on est atteint d’un lourd handicap physique, le fauteuil roulant devient très vite indispensable. Certains fauteuils sont personnalisables à souhait avec une myriade d’options hors de prix que l’on peut adapter ensuite. L’une des idées les plus saugrenues qui m’ait été proposée était la tablette. A quasiment 1 000 euros, elle ne ressemblait nullement aux modèles de chez Samsung ou Apple. Non, il s’agissait simplement d’une « planche » de plexiglas qui vient se poser sur les accoudoirs du fauteuil roulant afin de pouvoir y poser des choses (une vulgaire tablette porte objet… quoi!).

En soi, si on fait abstraction du prix, cela pouvait être réellement utile car j’ai tendance à poser toutes mes affaires sur mes genoux ce qui conduit à une stabilité plutôt précaire ! 


Toujours est-il que je me suis laissée convaincre et la tablette fut installée sur mon fauteuil par un technicien spécialisé dans les fauteuils roulants (je le redis, il s’agissait bien d’un spécialiste dans le domaine, un expert autrement dit). La tablette devait pouvoir s’escamoter sur le côté lorsque je roulais pour que cela n’entrave pas ma mobilité. 


Au bout d’une heure trente de bricolage, le technicien me montre fièrement la fameuse tablette installée et son reploiement sur le côté… où elle venait se glisser le long de la roue pour frotter par terre. Perplexe, je lui explique qu’il y a un problème de taille et qu’en l’état actuel des choses, je ne peux pas rouler avec ce matériel. A ma grande surprise, le technicien me répond :
-« Ah, mais ce n’est pas conçu pour rouler ! ».

Je vous laisse imaginer mon silence consterné… Mais n’ayez crainte ! Il n’est pas bête notre technicien (vous ai-je déjà dit qu’il s’agissait d’un spécialiste dans le domaine des fauteuils roulants ?) ! Il a vite trouvé une solution à me proposer :
-« Le mieux, c’est que vous preniez un sac à dos que vous accrochez au dossier du fauteuil et quand vous n’avez plus besoin de la tablette, vous la retirez, vous vous levez et allez la mettre dans le sac… ».


Je vous laisse apprécier ces paroles pleines de réflexion et de sagesse. La preuve est faite que l’on peut toujours trouver des solutions, il suffit juste de se lever et de prendre le problème à bras-le-corps !


Les gens ont tellement peur qu’on leur mente qu’ils finissent par être méfiants, maintenant, je peux le comprendre. En voyant une personne en fauteuil roulant ils peuvent devenir suspicieux et se demander s’il ne s’agit pas d’une couverture. C’est peut être un faux handicapé, un agent de la CDA (Central Disabled Agency) qui attend que les valides aient le dos tourné pour se lever de leur fauteuil roulant et marcher pour se mêler à la foule… Qui sait !

Et parfois, on se fait repérer, notre couverture saute et nous n’avons plus d’autre alternative que de faire face. 


Un jour, alors que mon fauteuil roulant était tombé en panne et que je me retrouvais totalement immobilisée depuis déjà plusieurs heures, je reçus enfin l’appel d’un dépanneur de fauteuil en chemin pour me essayer de me restituer ma mobilité. Il me demande d’évaluer l’urgence de la panne, je lui explique que je ne peux absolument plus bouger du tout. Il me demande le lieu où je me trouve et j’entreprends de lui expliquer la route à suivre. Ce monsieur interrompit alors très aimablement mes explications en concluant, persuadé qu’il s’agissait de la meilleure solution :
-« Non mais vous savez ce que l’on va faire ? Quand je serai là, je vous rappelle et vous sortirez pour venir à ma rencontre ».


>>> … Consternée … Je suis démasquée STOP


Fin de la mission STOP

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>>> Ce message ne s’autodétruira pas…

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Accessibilité !

Margaux-G

S’il y a bien un truc qui ne roule pas en France, c’est l’accessibilité !

L’accessibilité, une douce utopie que caresse l’idéalisme humain depuis de nombreuses années. Rendre accessible chaque lieu, à tout type de handicap, en voilà un beau concept ! En théorie, cela ne pose aucun souci, mais en pratique, c’est une autre histoire !


J’en vois certains qui de leurs yeux de valides, voyant de ci de là quelques places réservés aux PMR et quelques rampes apparaître, se disent que l’accessibilité est là et qu’elle progresse à grande vitesse. Loin de moi l’idée de faire s’ébranler vos convictions les plus profondes, mais il est grand temps de faire un petit point sur l’accessibilité dans notre pays.


Ce qu’il y a de bien c’est que ce n’est pas un problème nouveau puisque ce mot barbare, on le prononce depuis 2005… Vous savez, cette fameuse loi qui rend obligatoire l’accessibilité des lieux publics à tous… 2005, nous sommes en 2019, on pourrait donc nourrir l’espoir que presque 15 ans après, ce mot ne désigne plus qu’une vielle bataille pour l’égalité, depuis longtemps remportée.


Hélas il n’en est rien ! La loi prévoyait de laisser dix ans pour effectuer les travaux, passé ce délai, des poursuites judiciaires pourraient être encouru. Oui mais voilà, le souci c’est qu’à la veille de la date fatidique, quasiment rien n’avait été fait. Ceux qui s’étaient réveillés un peu tard se rendaient compte que les dossiers à monter pouvaient prendre plusieurs années à passer en commission et qu’ils n’étaient pas là de voir la couleur de la rampe.


Quelle fut donc la solution choisie ? Hâter les procédures administratives ? Simplifier les démarches ? Non ! Bien sûr que non ! On a préférait faire des dérogations ! Et voilà, un petit mot et la date butoir est reculée de quelques temps, et ce qu’il y a de formidable, c’est qu’il s’agit d’une offre cumulable !

Du coup, moi aussi, je suis allé demander une dérogation à mon handicap… Mais il est nettement moins compréhensif que l’état.


Il y en a qui s’excusent parfois, des commerçants qui m’expliquent d’un air désolé que rendre un bâtiment accessible, c’est très coûteux et très compliqué, je n’en doute pas. Et puis, il y en a qui m’ont clairement dit que les personnes handicapées n’avaient qu’à rester chez elles au lieu d’embêter le monde à vouloir faire leurs courses, aller travailler, tout ça… Non mais ce n’est pas croyable ça ! Qu’est-ce qu’elles ont toutes à vouloir avoir une vie, sérieusement ?


En même temps, comment voulez-vous que les commerces fassent l’effort de se rendre accessibles alors que les bâtiments administratifs ne montrent pas l’exemple ?


Personnellement, j’habite dans un petit village de campagne. Vous savez, ce genre de bourgade où tout le monde connait tout le monde. J’y suis arrivé à l’âge de trois ans, âge auquel j’ai acquis mon premier fauteuil roulant.


Pourtant, ce n’est que l’année de ma majorité, quand je suis allée voter que tous se sont rendu compte de trois petites choses inédites :


1) Il y a une marche pour rentrer dans la mairie.


2) Je suis en fauteuil roulant électrique (C’est vrai que ça ne se remarque pas à première vue)


3) Un fauteuil roulant de 200kg ça ne se soulève pas (Oui vous avez bien lu, un fauteuil roulant électrique fait 200 kg en moyenne, voilà pourquoi ça ne se remarque pas !)


Du coup l’année suivante ils ont acheté une rampe. Le maire était très fier de rendre sa commune accessible à tous ! Il m’a répéter dix fois le prix de la rampe et à quel point cela avait endommagé le budget municipal. Il tant insisté que je ne savais pas bien s’il voulait une médaille ou un chèque. Je lui ai donné un mouchoir…


Faire les boutiques, ça reste encore très compliqué. Pour moi l’expression « lèche vitrine » prend tout son sens ! On est bien obligé d’admirer la vitrine quand on ne peut pas rentrer !

Dans la ville la plus proche de chez moi, la seule boutique accessible, c’est la pharmacie ! C’est l’éclate le jour des soldes ! Je fais des folies ! L’an passé ils faisaient -20% sur le paracétamol, impossible de résister à une offre pareille ! J’ai refait toute mon armoire à pharmacie !


Une fois, je suis allée dans un endroit absolument étonnant. Tout était accessible à l’intérieur. Et quand je dis tout, c’est absolument tout ! Il y avait un ascenseur, des toilettes adaptées, la totale… Vraiment parfait, ils ont tout fait pour avoir leur label ! Si ce n’est un léger détail situé à l’extérieur: il y avait six marches pour y entrer…

Cette histoire m’a servi de leçon. Maintenant, quand je peux, je me renseigne avant de me déplacer quelque part, j’appelle et je demande le degré d’accessibilité. Les gens sont généralement peu contrariants et me répondent quasiment tous que je n’ai aucun soucis à me faire, que c’est dans la loi, qu’ils sont parfaitement accessibles, etc. C’est formidable la théorie. Mais bien souvent, lorsque j’arrive sur place je découvre une marche de quinze centimètres !

Comme je ne suis pas du genre à me laisser mettre des bâtons dans les roues, je rappelle les propriétaires des lieux pour qu’ils sortent et qu’ils viennent m’expliquer en quoi ils sont « parfaitement accessibles » : 
-« Si, si madame, on est entièrement accessible, il y a juste une petite marche à l’entrée c’est tout, mais ce n’est pas grave ça ! On va soulever un peu le fauteuil et puis… ».


En général je les laisse faire. De toute façon ils n’écoutent pas. Ils doivent se rendre compte par eux même qu’un fauteuil roulant de 200kg ça ne se soulève pas comme ça et que l’accessibilité si parfaite dont ils sont convaincu ne l’est réellement que pour les fauteuils roulant playmobils.


Non ! Je suis désolée mais ce n’est absolument pas possible. Imaginons que vous décidiez de ne plus manger de viande. Vous allez au restaurant et vous commandez le hamburger 100% végétarien. Dans mon monde à moi, le serveur vous répondrait : « ah oui absolument, il y a juste un petit steak de rien du tout mais ce n’est pas grand-chose ». Ce n’est pas qu’il se moque de vous, il y croit sincèrement…

Donc voilà, on en est là. Imaginez que vous vous retrouviez contraint de vous déplacer en fauteuil roulant. Vous vous levez le matin, c’est une belle journée. Vous vous dites que vous irez bien chercher du pain frais à la boulangerie. Pour commencer, comme les trottoirs ne sont pas adaptés, il faut bien que vous rouliez au bord de la route. Vous pouvez ainsi constater votre accélération cardiaque à chaque voiture qui vous frôle. L’étape suivante consiste à visiter toutes les boulangeries de votre ville pour en trouver une qui soit accessible, s’il y en a une…

Le tout en déjouant les trottoirs trop haut, les voitures mal garées, les poubelles qui gênent : c’est la version paralympique du parcours du combattant ! Pendant ce temps, vous les voyez tous, ces valides avec leurs baguettes sous le bras qui gravissent les marches de la boulangerie d’un pas léger, comme si c’était facile ! Pour vous c’est l’ascension du mont Everest par la face Nord ! 


Vous rentrez fatigué, stressé, et s’il vous prend l’envie de vous détendre un peu et d’allumer votre télé, vous tomberez pile sur les jeux télévisés du midi où l’animateur ne manquera pas de vous répéter de faire attention à la marche ! 


Trêve de plaisanterie, je vois bien qu’il y a de plus en plus d’efforts qui sont fait un peu partout. C’est jute long. Très long, mais on avance ! Une roue après l’autre. Et j’ai bon espoir qu’un jour il n’y ait plus aucun obstacle à l’accessibilité dans un pays qui prône l’égalité comme valeur fondamentale.


J’ai bon espoir qu’un jour, nous n’entendions plus jamais dire que les personnes handicapées devraient rester chez elles. Parce qu’avant l’adjectif « handicapée », il y a le mot « personne ».


Il y a des personnes qui marchent et d’autres qui roulent mais au fond tous ne désire qu’une chose seule et même chose : La liberté d’avancer.

Chronique d'un monde handicapé: Articles
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Absurdités administratives

Margaux-G

J’aimerais m’entretenir avec vous d’un sujet emblématique de notre beau pays… Vous pensez sans doute à notre tour Eiffel ou à nos magnifiques cathédrales, mais ce n’est pas à un monument que je songeais. Alors quoi ? Le vin ? Le fromage ? Les croissants ? Non, je ne parle pas de gastronomie non plus. Non, rien de tout cela. Il y a pourtant quelque chose que nos gouvernements et institutions adorent par-dessus tout, quelque chose à laquelle tout bon français qui se respecte à un jour été confronté : la paperasse !


Que ce soit pour les impôts, le travail, l’école, les aides, la santé où que sais-je encore, on vous demandera forcement de remplir un nombre impressionnant de papiers pour expliquer, et surtout, justifier.


Pour ce qui est des citoyens handicapés, c’est exactement pareil…En pire ! Un exemple parmi tant d’autres : que vous soyez étudiant et que vous voulez vous inscrire dans une école ? Il faudra remplir un dossier pour justifier que vous êtes bien handicapé. Des dossiers, des dossiers et encore des dossiers, parfois pour expliquer et justifier de quinze manières différentes que si vous vous vous déplacez en fauteuil roulant ce n’est pas parce que vous aimez sortir avec l’amicale des fans de fauteuil le dimanche après-midi mais bien parce que vous en êtes dépendant.


La maison départementale de personnes handicapées, la MDPH dont chaque région est dotée, est notre premier intermédiaire administratif. C’est auprès d’eux que passent toutes nos demandes en lien avec notre handicap et c’est encore eux qui statuent sur les aides auxquels nous pouvons prétendre en fonction de nos besoins et de notre invalidité. La lourdeur du dossier à remplir pourrait décourager les meilleurs archivistes du pays mais c’est pourtant une corvée à laquelle nous devons nous plier très régulièrement pour les tenir au courant de notre évolution. A priori, notre handicap n’évolue pas aussi rapidement que l’intervalle de temps où nous devons remplir ces dossiers ce qui nous donne bien souvent l’impression que le temps ne s’écoule pas de la même manière entre le monde humain et le monde administratif (mais après tout, on est jamais à l’abri d’un miracle qui frappe un beau jour à notre porte et nous guérisse de manière impromptue).


La plupart du temps, lorsque l’on me demande de fournir un document qui semble aberrant (tel qu’un papier écrit par un médecin pour justifier que oui, je suis bien handicapé et que non, je ne suis pas une originale qui aime juste passer ces journées clouée dans un fauteuil) une excuse revient toujours, avec un haussement d’épaules, comme pour souligner l’absurdité du système :
-« C’est purement administratif vous savez ».

Voici donc quelques anecdotes « purement administratives » mais surtout « purement absurdes » qui ne manqueront pas je suis sûre, de vous faire sourire.


Lorsque je suis née à la clinique où ma mère était suivit, ils ont tout de suite vu que quelque chose n’allait pas et la décision de mon transfert à l’hôpital ne fut pas longue à s’établir. Hélas, ma maman ayant subi une césarienne (pensez, un bébé avec une maladie génétique et un fauteuil roulant c’est difficile à faire passer par voies naturelles), elle n’était pas de suite en état de me suivre. Elle me rejoint pourtant très vite et notre petite famille s’installa pour les six prochains mois au service néonatal de l’hôpital.


C’est alors que la clinique qui m’avait vu naître et dans laquelle j’étais passé plus vite qu’une comète fit parvenir à mes parents la facture des couches que j’aurais dû utiliser chez eux, ce que bien sûr, je n’ai absolument pas eu le temps de faire ! Mais administrativement, j’étais née là-bas donc, comme tous les autres bébés j’avais usées trois jours de couches. Cela ne présageait rien de bon pour nos relation futures avec le monde de l’administration, mais ce n’étais bien là qu’un début.


Le souci c’est qu’il s’agit d’un monde hiérarchique où les ordres sont les ordres. C’est une leçon que j’ai apprise durant mes années de lycée lorsque je me suis rendu comme tous les mercredis matins auprès de l’ascenseur qui devait m’amener à l’étage de mon cours de sciences.
Les ascenseurs étaient tous équipés d’un digicode pour éviter que tous ne s’en servent à tort et à travers, mais le code avait fuité il y a de cela de nombreuses années et personne ne semblait décidé à le changer. Jusqu’à ce fameux mercredi matin.


Je compose le code qui m’est aussitôt refusé. Je le refais une seconde fois en me demandant si je suis bien réveillé mais les portes de métal restèrent hermétiquement fermées. Peu inquiète, je me rends à l’administration pour m’informer. Je repère une secrétaire dans l’open-space désert et je m’approche :
-« Bonjour madame, je dois me rendre en cours au deuxième étage mais j’ai beau faire le code, l’ascenseur ne s’ouvre pas ».


La secrétaire me jette un regard affolé. Elle se tortille sur sa chaise, mal à l’aise et me répond d’une petite voix :
-« Euh, oui, oui on a changés les codes ».

Sans me départir de mon sourire je réponds quelque chose comme :
-« Ah, c’est donc ça, je me disais aussi… Pourriez-vous me donner le nouveau code s’il vous plait ? ».

Je veux bien avouer que ce coup cis, je ne l’ai pas vu venir. J’étais préparé à tout sauf à cette réponse :
-« Non ».
-« Comment ça, non ? ».
Plus mal à l’aise que jamais, mon interlocutrice bafouille :
-« On a eu ordre de ne pas le donner aux élèves ».


Garde ton calme Margaux…
-« Oui, j’imagine bien, sauf aux élèves qui en ont besoin. Ceux qui ne peuvent pas prendre les escaliers par exemple… »
-« Je regrette, c’est impossible. Les ordres sont les ordres. »


Voyant l’heure tourner et la résolution de la seule personne susceptible de m’aider, je commence à perdre patience :
-« Peu importe ce que l’on vous a ordonné, le fait est que je devrais déjà être en cours et que je ne peux pas monter. Donc, où vous me donnez ce code pour que je puisse assister à mon cours, où vous allez voir mon professeur pour lui expliquer les raisons de mon absence. »


La secrétaire semble hésiter. Au bout d’un temps qui me parait infiniment long, elle jette des regards nerveux autour d’elle. Il n’y a personne mais cela ne semble pas la rassurer puisqu’elle se lève, contourne son bureau et s’approche de moi pour me murmurer le code tout bas, afin d’être sûr que si un collègue s’était caché derrière la fougère posée sur le bureau, il ne puisse pas l’entendre non plus.


J’ai enfin pu aller en cours, le précieux code en tête avec la nette impression d’avoir extorqué un renseignement sensible à un agent de la CIA. Ce qui m’amusa le plus dans toute cette affaire, c’est que sans que je ne vende la mèche à quiqu’onc, quelques jours plus tard le nouveau code était sus de l’ensemble des élèves. Finalement, peut être que l’homme caché derrière la fougère avait entendu.


Ce qui m’amuse le plus lorsque je dois remplir un dossier qui n’a pas de lien direct avec le handicap, c’est la minuscule ligne de pointillés sur laquelle on nous invite à écrire nos antécédents médicaux. Comment vous dire : si je devais réellement écrire en détails mes antécédents médicaux, c’est une encyclopédie en 8 volumes que je rédigerais. Lorsque je me rends à une consultation à l’hôpital j’ai le droit à un chariot à deux étages et un brancardier pour transporter mon dossier médical (certes, je ne passe pas vraiment inaperçu dans les couloirs).


On ne va pas refaire le monde et je sais bien que les papiers sont parfois nécessaire mais si on pouvait alléger un petit peu plus toutes ces démarches, si au lieu d’essayer de tout justifier et de faire rentrer tout le monde dans des cases standardisées, on réfléchissaient un peu plus aux moyens d’améliorer la vie de chacun, peut être que nous serions un peu moins confrontés à ce genre d’absurdités…


Ah, excusez-moi, j’ai de la visite.

Moi- Oui bonjour c’est pourquoi ?
Visiteur – Bonjour, je suis ici pour faire un miracle. Lève-toi et mar…
Moi –AH NON ! Je viens à peine de finir mon dossier MDPH, j’ai pas du tout envie de recommencer aujourd’hui !

Non mais sans blague, il faut arrêter avec les miracles là parce que c’est bien beau mais après pour justifier ça, hein ! On voit que ce n’est pas eux qui font la paperasse !


En tout cas, si cette chronique vous a plu, n’oubliez pas me le signaler en remplissant le formulaire B56-3942A-97G-Cerise-Licorne.

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Ne dites rien

Margaux-G

La sincérité est mon leitmotiv, elle est la perle qui se forme dans la coquille du cœur aussi, j’ai à vous parler franchement. Je sais que la plupart d’entre vous ne souhaitez rien d’autre que de dire quelque chose de gentil.


Vous savez c’est comme ce nouveau-né que vous allez voir, et qui est la huitième merveille du monde pour ses parents mais que vous trouvez tout de même disgracieux, ou cette nouvelle robe rouge à pois verts que l’on vous propose d’essayer dans un magasin de prêt à porter, et que vous ne pouvez absolument pas vous résoudre à mettre. Il n’existe que deux manières d’éviter ce genre de situation :

Soit vous essayez de dire quelque chose qui sera bien souvent très maladroit et totalement absurde, soit vous ne dites rien. Je ne suis ni un nouveau-né disgracieux, ni une robe rouge à pois verts. Non je suis (juste) en fauteuil roulant, et ce handicap m’a déjà bien souvent mis au cœur de dialogues du troisième type. Il existe en effet des personnes qui, subitement retrouvées face à la dure réalité (c’est-à-dire, de l’existence de perdants au grand loto de la génétique), sont tellement gênées qu’elles se sentent obligées de balbutier quelque chose.


Ce quelque chose, qui est sans aucun doute plus maladroit que méchant, vaut pourtant le coup d’être notifié et raconté.


Lorsque j’étais toute petite, j’étais plâtrée de partout et de ce fait, je me distinguais des autres bébés en poussette. A tel point que l’on se demandait si mes parents m’avaient fait naître ou bien m’avaient sculptée… Lorsqu’un jour au beau milieu d’une allée de supermarché, une dame s’est approchée et s’est penchée pour regarder quel mignon bébé se trouvait là. Elle ne s’attendait sans doute pas à ce qu’elle vit. Mais je dus sans doute lui faire mon plus beau sourire car elle regarda ma mère et lui dit, comme pour la consoler : « ça va, elle est quand même jolie… ». Pourquoi ? Il faudrait qu’en plus je sois vilaine ?


Une autre fois, un inconnu à qui je venais de dire bonjour s’est empressé interpeller mon père pour lui dire, les yeux ronds de surprise :
-« Mais elle peut parler ? Enfin, vous voyez, comme elle était en fauteuil je pensais que… »


Celle-ci je la trouve mignonne : je me promenais dans la rue avec le bel Hélios (pour les nouveaux lecteurs, il s’agit de mon chien d’assistance, un grand labrador noir). Comme toujours lors de nos sorties en ville, sa laisse le relie à mon fauteuil roulant électrique. Je le reconnais, cela peut prêter à confusion : L’un des défauts d’Hélios est de toujours accélérer pour se maintenir en tête, légèrement en avant par rapport au fauteuil (il doit s’agir là d’une sorte de petit défi personnel). Un papa qui se trouvait là avec son fils endossa bien volontiers le rôle de pédagogue :
-« Tu vois fiston, le chien est là pour tirer le fauteuil de la dame, sinon elle ne pourrait pas avancer ». Vraiment pas bête… Voire astucieux. Je vais investir dans une meute d’husky !


On pourrait croire que les gens qui travaillent dans le monde du handicap sont les plus coutumiers de ces bévues et auraient dû depuis longtemps avoir appris que cette différence n’est que factice, car nous avons tous le même cœur, les mêmes idées et les mêmes émotions. Pourtant, ce n’est là que la théorie. La pratique est quant à elle, très différente. Je l’ai appris un jour où j’empruntais un taxi adapté aux personnes à mobilité réduite. Mon chauffeur était très (trop) bavard ! Voici à peu près le discours qu’il me tint :
-« Moi j’aime les gens, de toute façon pour faire ce type de métier, il faut aimer les gens. Et au-delà de ça, ceux que j’aime le plus, ce sont les gens comme vous…

-Les gens comme moi ? Demandais-je, mi-irritée, mi-terrifiée.
- Oui, comme vous, vous n’êtes pas comme nous, ça vous rend attachant … ».
Vous imaginez bien que je n’ai pas souhaité poursuivre cette conversation plus loin ! Je me suis employée durant le reste du trajet à être la moins « attachante » possible.


Il me vient une dernière petite anecdote qui celle-là, a bien fait rire ma famille. Un jour où j’étais une très jeune enfant, alors que je visitais un zoo avec ma marraine, cette dernière se rendit compte que tous les autres (enfants et adultes) semblaient plus captivés par ma présence que par les animaux. Agacée de les voir tous me dévisager de la sorte, elle répliqua :
-« Attention ! Elle mord ! ».
Son intervention eut l’effet escompté, tous détournèrent le regard, prenant conscience de l’absurdité de la chose. Mais ce à quoi elle ne s’attendait pas, c’était ma réaction. Du haut de mes trois ans, je fondis littéralement en larmes, hoquetant quelque chose comme :
-« Non c’est pas vrai Marraine, je ne mords pas !!! ».

Je n’ai retranscrit ici que les remarques que je considérais amusantes, la vocation de ces chroniques étant de vous divertir. Aussi ai-je choisi de passer sous silence toutes les phrases les plus méchantes, et les discours empreints de pitié qui soulignent à quel point ma vie doit être triste et mon taux de chance bas !


Mais il y a un temps pour tout, et maintenant, il est temps d’être sérieux. Voici ce que je tente de dire :
Je n’ai nul besoin d’être consolée, ou d’être prise en pitié. Mon handicap fait partie intégrante de mon être, je me suis construite autour. J’ai appris à grandir sous son emprise et à prouver que l’on peut vivre malgré tout une vie qui vaut autant la peine d’être vécu qu’une vie de valide. Comme le disait André Malraux : « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ».


Il ne s’agit pas d’une question de chance ou de malchance. Naître en bonne santé n’est pas quelque chose de « normal », c’est un cadeau. Le handicap n’est pas synonyme de fin, bien au contraire. Lorsque j’échange avec vous tous, je ne me sens nullement handicapée. En revanche, le manque d’accessibilité, les regards, les discours qui soulignent ma différence : c’est là que se cache le handicap.


Alors si vous ne parvenez pas à me parler de vie, de bonheur, de rêve, d’amour ou encore d’espoir, s’il vous plait…

Ne dites rien…

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Cendrillon 2.0

Margaux-G

Il était une fois une jeune fille qui s'appelait Cendrine. Oui, je sais ce que vous vous dites, c'est une formule très cliché pour démarrer une histoire. Mais les lecteurs d'aujourd'hui sont devenus très protocolaire ! Vous pouvez leur raconter n'importe quelle histoire, si féerique et si jolie soit elle, pour un peu qu'elle ne commence pas par le célèbre "il était une fois", ils vous soutiendront qu'il ne peut s'agir d'un conte !


Et parce que les contes commencent toujours mal, j'ajouterais que Cendrine avait perdu sa maman très jeune. Elle était dotée du papa le plus gentil du monde, qui brillait surtout par son absence. Toujours entre deux avions pour un travail que personne ne comprenait vraiment, il ne rentrait que très rarement. Jusqu'au jour où il admit que les tropiques étant un lieu bien agréable, il ne rentrerait plus du tout. 
Cendrine vivait donc seule avec sa belle-mère et ses deux filles. Marthe, la belle-mère, n'avait que très peu d'affection pour Cendrine. Elle semblait considérer que le meilleur moyen de prendre soins d'elle était de feindre son inexistence. Marion et Manon, qui suivaient leur mère comme de parfaits petits toutous étaient aussi jolies que dépourvues de cervelle. Des moutons auraient montré plus de rébellion ! Elles précédaient Marthe en tout lieu et s'empressaient d'acquiescer à toutes ses paroles. 


Je sens déjà poindre les critiques. Je vois à vos moues déçues que le début de mon récit, si charmant soit-il, ne vous as pas convaincue. Vous pensez déjà que ce conte ne sera jamais rien de plus qu'une énième version de la célèbre histoire de Cendrillon et que rien ne pourrait vous surprendre dans les lignes suivantes. C'est là que vous vous trompez, chers lecteurs. Car il y a une chose primordiale que j'ai omis de vous révéler: Cendrine était handicapée moteur.
N'ayant point l'usage de ces jambes, un fauteuil roulant l'accompagnait dans tous ces déplacements. Un fauteuil qu'elle devait faire avancer, à la seule force de ces bras, sans jamais pouvoir compter sans une aide extérieur. Marthe et ses belles filles ne lui adressaient que très rarement la parole et ne s'inquiétaient nullement de ces besoins et des problématiques qu'elle pouvait rencontrer. Ils ne leur étaient par exemple jamais venue à l'idée que Cendrine pouvait avoir quelques petites difficultés à monter les vingt-six marches de l'escalier menant à sa chambre à coucher. 


La seule chambre du rez-de-chaussée revenait de droit à Marthe qui souffrait occasionnellement de "pincements" et de "picotements" dans le dos. Elle n'avait pas encore obtenue sa carte d'invalidité pour le justifier mais, au sein d'une même famille, on peut bien se faire confiance, non ? 
Ainsi donc, chaque soir au moment du coucher, Manon et Marion, depuis longtemps endormies sont suivies de Marthe qui regagne ses appartements, laissant à Cendrine le soin de la lessive et de la vaisselle. Lorsque notre jeune héroïne termine enfin ses corvées, elle doit encore faire face à l’escalier qu’elle tente de gravir marche après marche, une roue après l’autre dans l’indifférence générale. Bien sûr, elle n’y parvint jamais, et toutes ces tentatives ce soldent par une chute à l’origine d’un vacarme qui ne manquait pas de réveiller Marthe. Celle-ci pestait d’une voix forte contre cette maudite Cendrine qui n’avait « aucune pitié pour ses pauvres nerfs, elle qui lui avait pourtant tout donné ». La pauvre Cendrine finissait par s’endormir assise sur son fauteuil, épuisée, rêvant que quelqu’un lui apporte enfin un peu de considération. Elle ne se doutait pas qu’elle allait être bientôt entendue.


Il y eut un matin semblable en tout point aux autres matins. Pourtant, ce matin-là était radicalement différent. Marthe profitait du petit déjeuner pour enseigner à ses filles certaines leçons philosophique tandis que Cendrine se démenait pour apporter les tartines grillées et le chocolat chaud de ses dames :
-« Vous savez mes enfants, il faut se lever pour se faire un nom. Ceux qui restent assis à longueur de journée, n’accomplissent jamais rien…
- Ceux qui restent debout sans rien faire ne vont pas bien loin non plus, ne put s’empêcher de rétorquer Cendrine».
Sa belle-mère pinça les lèvres comme si une odeur désagréable venait d’envahir la pièce. C’est alors que Manon qui avait les yeux rivés sur son téléphone, laissa échapper une exclamation de surprise. 
-« Mère ! Regardez ça ! Dit-elle en lui tendant le smartphone. Le fils du maire organise une soirée ! Il a invité toute la ville ».
-Ne dit-on pas que le fils du maire est célibataire ? demanda Marion, déterminé à ne pas laisser sa cadette lui voler la vedette.
-En effet ! Le bal à lieu ce soir… Vous savez ce que cela veut dire ? interrogea Marthe ».
Ses deux filles la regardèrent, l’œil éteint.
-« Cela veut dire qu’il nous reste peu de temps pour nous préparer ! » Dit-elle en se levant d’un bond. Manon et Marion l’imitèrent aussitôt, délaissant le petit déjeuner que Cendrine venait tout juste de déposer sur la table. 
Dès lors, ce ne fut plus que cris et essayages ! Cendrine les regardaient avec envie. Elle aussi aimerait bien aller à cette soirée. Elle décide d’en toucher un mot à sa belle-mère. Elle n’obtint ni assentiment, ni dénégation. Suivant l’adage qui se tait consent, Cendrine se dit que rien ni personne ne pourrait l’empêcher d’y être. 
Le soir de la fête, elle réitéra sa demande en suivant sa belle-mère et ses filles dans la rue. Elles ne prirent pas la peine de lui répondre, montant directement dans le taxi qui les attendait. Le chauffeur, voyant la pauvre Cendrine secoua la tête :
-« Je ne peux pas vous prendre mademoiselle, je ne suis pas un taxi adapté ».
Cendrine resta seule dans la rue, observant la voiture s’éloigner vers cette fête à laquelle elle voulait tant aller. Faisant tristement demie tour, elle s’aperçu que la porte de la maisonnée c’était refermé et que son infirmité ne lui permettait point de la rouvrir. Elle resta ainsi, seule à fixer cette porte fermée, les yeux baignés de larmes.
Je vois bien, chers lecteurs, que la détresse de Cendrine vous touche. Sans doute vous-dites-vous qu’il est de ma responsabilité en tant qu’auteur, d’envoyer un personnage la sauver. Et comme nous sommes dans un conte de fée, c’est exactement ce qui va se passer. 


Notre fée en question pèse une trentaine de kilos et posséde plus de poils que de coutume. C’était en réalité la jeune labrador des voisins, Vivianne, une adorable chienne qui s’était prise d’affection pour la douce Cendrine. 
Vivianne se promenait dans la ruelle lorsqu’elle entendu Cendrine pleurer. Comme il s’agissait d’une chienne très intelligente, elle comprit en un clin d’œil les raisons du drame. Ne pouvant supporter les pleurs de son amie plus longtemps, elle se décida à intervenir. 
En un tour de patte, elle parvint à ouvrir la porte de la maisonnée pour que Cendrine puisse rentrer. Elle courut à toute patte à l’étage et ouvrit d’un coup de museau le placard de la jeune femme et y dénicha la plus belle des robes qu’elle s’empressa de lui ramener. 
Cendrine sécha ses larmes et enfila sa robe à la hâte. Vivianne avait déjà décroché le téléphone et composé le numéro d’une société de taxi adapté (je vous l’ai dit, c’est une chienne très intelligente !). 
Le taxi fut rapidement là et nos deux princesses d’un soir furent à peine en retard à la grande soirée. Leur chauffeur, qui devait jongler entre tous ses clients et les heures de conduite qu’il ne devait pas dépasser n’avait qu’une exigence : il fallait être à la voiture à minuit, et il ne souffrirait aucun retard. Cendrine promis qu’elle serait à l’heure et la soirée put enfin commencer. 


Le fils du maire était le plus beau jeune homme de la ville et pourtant, il ne trouvait pas chaussure à son pied (pardonnez-moi l’expression, mais quitte à réécrire le mythe de Cendrillon, autant jouer le jeu jusqu’au bout !). Et il y avait une raison très simple à cela : il était extrêmement exigeant. Le problème étant qu’il n’accordait que très peu d’importance aux qualités morales qui font la beauté d’une personne. Son attention à lui n’était retenue que par une plastique sans défaut, un physique des magazines et un visage photoshopé. Lorsqu’il dénichait enfin le nouveau mannequin de Carl Lagerfeld, il prenait conscience qu’elle n’avait aucun point commun avec lui et que son physique parfait camouflait un esprit quelque peu aéré. 
Il s’ennuyait fermement dans cette soirée pourtant organisé en son honneur lorsque Cendrine parut enfin. Bien sûr, il ne la remarqua point, pourquoi donc son regard se serait-il attardé sur une jeune femme handicapée ? Son attention allait de convive en convive, élaborant mentalement la liste des femmes les plus désirables lorsqu’il vit Marion et Manon, les deux sÅ“urs d’adoption de Cendrine. Subjugué par leur beauté pourtant dénué de charme, il se mit en route pour aller leur parler. Il ne vit pas Vivianne qui fouillait le sol à la recherche de quelques miettes alléchantes et la percuta de plein fouet. Il se releva en s’époussetant, tâtonnant fébrilement le carrelage à la recherche de ses lunettes. Il ne les trouva jamais, Vivianne s’étant empressé de les récupérer et de les mettre hors d’atteinte. 
Notre prince, sans ses lunettes ne distinguait que des formes aux contours floues. Il errait çà et là, perdu dans ce tourbillon de choses qu’ils ne voyaient pas quand il entendit la plus jolie voix qui lui avait été donné d’entendre :
-« Avez-vous besoin d’aide ? Lui demanda Cendrine ».
Enamouré de cette merveilleuse voix, Eric (car c’est comme ça qu’il s’appelait) s’entendit lui répondre :
-« Je cherchais une compagnie agréable pour fuir l’ennuie qui menaçait de me gagner… Mais, je crois bien avoir trouvé ». 
Le reste de la soirée ne fut que rire, danse et grandes discussions. Les deux ne se quittèrent plus et une profonde attirance s’emblait peu à peu s’emparer d’eux. 
Hélas, minuit sonna bientôt. Cendrine, qui vivait un rêve éveillé, avait complètement oublié son engagement auprès du chauffeur de taxi. Un aboiement de Vivianne la rappela à l’ordre. 
-« Je dois partir… » Dit-elle en guise d’excuse, et avant que le pauvre Eric n’est eu le temps de comprendre ce qu’il se passait, elle roulait déjà en toute hâte vers l’extérieur. Dans sa hâte, elle perdit une pièce de son fauteuil roulant, l’un de ses cale-pieds. 


Elle parvint dans le taxi in-extremis, regrettant que la soirée soit déjà terminée. Elle était bien consciente que cette parenthèse avec le séduisant Eric n’avait guère de chance de survivre au petit matin, surtout lorsque celui-ci aurait retrouvé ses lunettes. Car, dans sa cécité, Eric n’avait pas réalisé que Cendrine était en fauteuil roulant, et connaissant le jeune homme de réputation, elle s’était bien gardée de le lui révéler. On a bien le droit de rêver un peu, pas vrai ?
Pourtant, on dit bien que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis… Et les princes dans les contes sont rarement qualifiés d’imbéciles ! Eric ayant enfin remis la main sur ses lunettes se mit en quête de la belle inconnue dont il n’avait que le nom. D’elle, il ne retrouva trois fois rien, hormis un cale-pied. Il convainc que c’était bien quelque chose d’étrange d’oublier une telle chose et ne tarda pas à se douter de la situation. Il se sentit d’abord trompé et blessé que la femme la plus intéressante qu’il lui avait été donné de rencontrer ne correspondait absolument pas à la perfection physique. Mais le cÅ“ur a ses raisons que la raison ignore : Eric ne parvenait pas à chasser Cendrine de son esprit et encore moins de son cÅ“ur. 
Les jours qui suivirent n’arrangèrent pas les choses. Il errait comme une âme en peine, le cale-pied de Cendrine sous le bras lorsqu’il vit un labrador qui semblait l’attendre. L’animal l’invita joyeusement à le suivre à travers les rues, et notre Eric, indécis, finit par se dire qu’il n’avait sans doute rien de mieux à faire qu’à le laisser le mener où bon lui semblait.
C’est ainsi que Vivianne conduisit Eric jusqu’à la maisonnée de Cendrine. Lorsqu’il l’a vit, il n’eut plus du tout le moindre doute.
-« Je viens ramener ceci a une jeune femme extraordinaire… lui dit-il en désignant le cale-pied ».
Cendrine, le cÅ“ur débordant de bonheur à la vue du jeune homme, fut soulagée à la pensée qu’elle ne souffrira bientôt plus de sa jambe gauche qui reposait dans le vide depuis trop longtemps. 
-« Il faut que je vous avertisse, prévient Eric, que celle à qui appartient ce cale-pieds aura le droit à un rendez-vous avec moi.
-Je crois bien que c’est à moi ! Je m’en sers pour poser mon pied gauche quand je regarde la télé, dit aussitôt Manon.
-Et le pied droit ? demanda Cendrine, moqueuse.
-Mais pas du tout ! Intervient Marion, c’est à moi. C’est ma prothèse de jambe ».
-Pourtant tu as tes deux jambes. Renchérit Cendrine en haussant les sourcils.
-Mais il fut un temps où j’en avais une troisième ! ».
Ce fut peut être le seul moment où Marthe sentit poindre un sentiment de honte vis-à-vis de ses deux filles. Elle reconnut qu’elles manquaient d’esprit et de stratégie.
Eric s’approcha de Cendrine et mis un genou à terre. Il posa délicatement le cale-pied qui emboîta parfaitement au reste du fauteuil roulant. 

La suite, je pense que vous la devinerez aisément tout seuls ! Je ne vous ferez pas l’affront de vous dire qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, déjà parce que cette formule est quelque peu passé de mode. Et entre nous, avoir quelques enfants, d’accord, mais beaucoup ? Franchement… Vous vous imaginez, vous, avec beaucoup d’enfants ? Ils ne vont pas monter une équipe de football non plus ! 
Ce qui est sûr c’est qu’ils furent heureux (presque) tout le temps et qu’ils eurent des enfants, mais cette histoire ne dit pas s’ils étaient dotés de roulettes ou non !

Chronique d'un monde handicapé: Articles
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La Belle au bois dormant 2.0

Toi ! Oui, toi qui te perds dans tes pensées exaltantes sans bien savoir comment occuper les prochaines minutes de ton temps… Je parie que tu aimerais entendre une belle histoire ? Ça tombe bien, j’allais justement reprendre la plume pour t'en conter une qui ne t’es pas étrangère… Tu l’as sans doute lu lorsque tu étais petit dans les livres, ou un peu plus grand sur l’écran, mais je suis sûre que ce récit te dira quelque chose ! Et si tu as eu le plaisir de lire ma précédente histoire sur notre chère Cendrillon, tu sais certainement que je ne vais pas te raconter l’histoire à laquelle tu t’attends, car cela n’aurait pas grand intérêt, pour toi comme pour moi.
Aussi, laisse moi te narrer le destin de la belle Orianne, qui naquit dans une famille aimante comme l’on peut en croiser dans les contes. Ses parents s’aimaient tendrement. Ils étaient les souverains prospères et respectés d’un royaume dont le nom m’a échappé (je suis conteur, pas géographe…). A la naissance de la petite, ils furent tellement fiers qu’ils organisèrent une réception pour montrer leur bébé à qui voudrait le voir. Une sorte de baby shower party en somme !
Ah, détail qui n’est pas dénué d’importance ! Orianne était née avec un handicap physique qui l’empêchait d’évoluer comme tout enfant de son âge, en marchant. Elle devait, par conséquent, se déplacer en fauteuil roulant. Maintenant que tu as cet élément en tête, nous pouvons reprendre.
La plupart des dames de la contrée s’invitèrent à la réception, impatientes de voir cet adorable bébé. La question était de savoir ce qu’ils pouvaient offrir à l’enfant (car on ne se présente pas à une telle réception les mains vides, ta maman a dû te le dire). Inutile de lui offrir la beauté, la gentillesse, l’intelligence et tout ce qui s’en suit, il est évident qu’une princesse possède déjà toutes ces qualités ! En se concertant, elles optèrent toutes pour des pneus de rechange afin que le fauteuil de la petite princesse n’en soit jamais dépourvu… Et si vous savez combien un enfant qui marche peut vite user ses chaussures, vous imaginez sans mal le nombre de pneus nécessaires à l’épanouissement d’un enfant qui roule !
La fête se déroula de la plus merveilleuse des façons, jusqu’à ce qu’un convive imprévu vienne casser l’ambiance. La mère Crapouille, une vielle femme acariâtre, toujours vêtue de noir, fit irruption dans le salon et cria au scandale. N’ayant pas compris que chacun pouvait venir à sa guise pour voir l’enfant, elle s’offusquait de ne pas avoir reçu d’invitation à son nom pour assister à l’événement.
- Puisque c’est ainsi, s’exclama-t-elle d’un ton théâtral frôlant la dramaturgie (car elle avait joué Juliette Capulet au lycée), je reprends tous les pneus qui furent offert à la princesse. Il viendra un jour où elle roulera sur quelque chose de pointu et crèvera. Elle sera immobilisée à jamais ».
Sur ces mots, la mère Crapouille s’empara des pneus sous l’œil médusé des autres convives et disparut hors de la demeure. Affolés, les parents de l’enfant demandèrent de l’aide. Une dame d’une grande sagesse les rassura du mieux qu’elle put :
- « N’ayez crainte, elle ne restera pas immobile pour l’éternité, un dépanneur de fauteuil roulant viendra un jour la délivrer ». Cette dame, que nous appellerons Dame Mélusine, était également cadre chez Michelin, aussi le roi et la reine lui demandèrent d’être la marraine d’Orianne.
La petite Orianne grandit dans un environnement épanouissant, entourée de tendresse et d’amour. C’était une enfant curieuse de tout, toujours enjouée et souriante. Elle faisait le bonheur de tous les gens du royaume. Ses parents vivaient chaque jour avec leur fille comme un cadeau, mais gardaient les terribles paroles de la Mère Crapouille dans un coin de leur tête. Souhaitant à tout prix écarter la menace, ils promulguèrent une loi qui interdisait tout objet pointu susceptible d’être égaré ou posé au sol par mégarde. Les boucles d’oreilles, les aiguilles, les agrafes et les punaises furent bannies du royaume, et bientôt, il ne subsistait plus rien qui puisse crever un pneu de la princesse.
Hélas, la Mère Crapouille n’avait pas dit son dernier mot. L’année où Orianne eut seize ans, elle se couvrit d’un châle et pris l’apparence d’une adorable petite mamie. Munie de la dernière punaise de tout le royaume qu’elle avait précieusement conservée, elle se rendit au château et ne tarda pas à croiser la route de la princesse. La belle Orianne lui souhaita une belle journée en lui offrant un doux sourire. La méchante femme attendit que la princesse eût tourner les roues, pour déposer la punaise sur la route principale, pointe acérée vers le haut.
Orianne ne fut pas longue à rouler dessus. Elle ne comprit pas tout de suite ce qui s’était passé, mais elle fut bien obligée de s’arrêter lorsqu’elle se trouva sur trois roues au lieu de quatre. Le pneu qui avait reçu la piqure de la punaise était complétement à plat et la jeune fille se retrouva totalement immobilisée.
On appela une agence de dépannage spécialisée dans les fauteuils roulants, puis l’attente commença. On leur avait promis d’envoyer un dépanneur dans les plus brefs délais, mais chaque minute sans pouvoir avancer était un supplice pour la jeune princesse. Le roi et la reine se rongeaient les sangs, incapables de supporter l’attente. Tout le royaume était en panique, seule Orianne s’efforçait de faire bonne figure et de prendre son mal en patience.
Le premier jour passa, puis le second… Cela fit bientôt une semaine entière que la princesse attendait, toujours incapable de bouger. Le roi et la reine était devenus insupportables, faisant les cent pas nuits et jours entre leur trône et la chambre de leur fille, tant et si bien que leurs pieds avaient fini par creuser une tranchée entre les deux pièces. Souhaitant aider les souverains à calmer leur nervosité, Dame Mélusine se rendit aux cuisines royales pour glisser discrètement un somnifère ou deux dans la soupe du soir. Hélas, un commis de cuisine fit irruption dans les cuisines à cet instant et la dame, sursautant, versa l’intégralité du flacon de médicament dans le potage.
Les bols de soupes furent servis immédiatement, et elle regarda, impuissante, chacun des membres de la familles royale, valets, serviteurs, personnels et invités, boire à cette soupe qu’elle avait rendu accidentellement si spéciale. Les premiers ronflements ne tardèrent pas à se faire entendre et en un instant, ce fut tout le château qui dormait profondément, d’un sommeil sans rêve. Honteuse, Dame Mélusine partie en courant, regagnant son entreprise pour trouver une solution et réparer son impair.
Orianne, à qui l’on avait apporté un bol de soupe, s’endormit-elle aussi, priant dans ses rêves le réparateur de se hâter. Le château et ses habitants furent ainsi plongés dans un sommeil profond pendant dix longues années, attendant en vain d’être délivrés.
Voilà, nous avons fini notre histoire.
Je plaisante, bien sûr ! Je me remets au travail.
Un beau jour, conduisant fièrement sa camionnette blanche, le fameux réparateur prit la route du château assoupi. Les ronces avaient recouvert ses murs et une décennie de broussaille tentait de le dissimuler des regards, mais notre réparateur parvint enfin à en trouver l’entrée. Il fut saisi de stupeur en entrant dans le château. Un silence assourdissant bourdonnait dans les grandes salles et toute âme qu’il rencontrait était profondément endormie.
Il finit par trouver la chambre de la princesse en suivant la tranchée qui y menait, et entra sa caisse à outils à la main. Il fut saisi par la beauté de la jeune femme, assoupie dans son fauteuil roulant. Ses longs cheveux blonds étaient en bataille, ses joues étaient marquées par dix années d’appui sur le cuir du fauteuil et un long filet de bave coulait de la commissure de ses lèvres.
Le réparateur commença à travailler, remplaçant le pneu aplati par un nouveau surgonflé. Ce n’est que lorsqu’il eut achevé sa tâche que la princesse sortit de sa torpeur. Le somnifère avait enfin cessé de faire effet. Un à un, les habitants du château reprirent leurs esprits, médusés d’avoir dormi tant de temps. Orianne remercia avec chaleur le réparateur pour son ouvrage. Le roi et la reine se ruèrent dans la chambre de leur enfant. Lorsqu’ils virent la roue réparée, ils serrèrent leur fille avec effusion, laissant éclater leur joie.
Le réparateur fut nommé à la cour comme réparateur officiel, le roi ayant pris conscience de leur manque de rapidité d’intervention, il trouva plus sage d’en avoir toujours un sous la main désormais. Mais n’en déplaisent à mes lecteurs, il ne fut nullement question d’un mariage entre la princesse et ce monsieur, déjà parce qu’Orianne n’a que seize ans, elle a encore tout le temps pour songer au concubinage, et puis surtout parce qu’on n’épouse pas un homme, même s’il a mis dix ans pour venir vous secourir, sans rien connaître de lui ! Non mais (ça aussi ta maman a dû te le dire) ! Cependant n’aie crainte, la belle Orianne ne tarda pas à trouver un petit ami en la personne de son kinésithérapeute. A force d’aller le voir à cause de son dos en compote (dix ans à dormir assise dans un fauteuil, tu penses bien !), ils finirent par tomber amoureux.
Tout est bien qui finit bien non ? Je sens poindre une dernière interrogation, et tu as raison de me faire remarquer mon oubli, quel piètre conteur ferais-je si j’achevais ainsi mon récit sans même te donner des nouvelles de dame Mélusine ! Comment a-t-elle mis à profit ces dix ans d’attente, elle qui n’a pas dormi ? Tout simplement en créant des pneus pleins, garantis increvables !
Cette fois j’ai fait le tour, cette histoire est bel et bien finie !

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