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Le Noël des oiseaux

Margaux Gambier

L’histoire que je vais vous raconter, se passe dans l’une de nos belles forêts. Les bois sont des lieux enchanteurs où cohabitent bon nombre d’animaux très différents. Certains se nourrissent de graines et de verdure tandis que d’autres, friands de viande, doivent chasser les autres animaux pour survivre. Il règne habituellement un climat de méfiance et de peur entre les grands oiseaux de proie et les petits oiseaux qu’ils chassent. Cependant, il existe une saison qui ne connaît ni crainte ni drame : la saison de Noël.

Chaque année, à l’approche de la saison froide, les grands oiseaux de proie craignant le froid, s’envolent vers des pays où l’hiver sera plus chaud, laissant les petits animaux tout heureux, se préparer aux fêtes.

Cette année n’est pourtant pas une année comme les autres. Il était un faucon qui ne pouvait plus s’envoler vers l’été. Trop âgé qu’il était, il n’avait plus la force pour un si long voyage. Gidéon le faucon, fut bien obligé de se cacher dans la forêt pour faire croire à son départ. Lui qui était autrefois un si grand chasseur, il devait maintenant se terrer comme une proie, car il n’était pas le bienvenu dans ces bois.

Gidéon, tout comme les autres rapaces, ignorait tout des traditions de Noël. Lorsque le vieux faucon aperçut depuis son arbre, tous les habitants de la forêt qui faisaient route vers un grand pin vert foncé, il fut très surpris :

- « Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire avec cet arbre ? » réfléchit-il tout haut.

C’est alors qu’un à un, les animaux accrochèrent aux branches du sapin, des ornements colorés. Les écureuils déposèrent des pommes de pins écartelées, les geais installèrent des pommes d’un rouge éclatant, les mésanges suspendirent des guirlandes de plumes chatoyantes… Chacun y allait de sa décoration. Il régnait comme un air de fête autour du grand arbre qui se laissait ainsi habiller. A son pied, ce n’était que rires et chants entrainants.

Ce spectacle singulier réchauffa le vieux cœur du faucon. Il était émerveillé de ce qu’il voyait. Il aurait tellement aimé se joindre à eux, mais cela était impossible. Il était un oiseau de proie, il leurs ferait tous peur et serait chassé du bois. Pourtant, voilà bien des lunes que le faucon, au bec abimé par les années qui passent, ne mangeait plus que des baies… Il restait pourtant un tueur retraité, il le savait.

Il se contenta de les observer de loin depuis son arbre, le cœur gros. Pour la première fois de sa vie, il se sentait terriblement seul.

C’est alors qu’un jeune rouge-gorge l’aperçut. Leurs regards se croisèrent. Gidéon attendit avec angoisse ce qui allait se passer, mais à sa grande surprise, le petit rouge-gorge lui fit signe d’approcher. Gidéon savait que ce n’était pas prudent, mais il avait tellement envie de participer. Il descendit doucement de son perchoir et s’avança à pas lents vers le sapin. Ses serres s’enfonçaient dans la neige. Il jetait des regards craintifs autour de lui, mais personne ne semblait l’avoir remarqué. Le petit rouge-gorge lui fit un sourire pour l’encourager. Lorsqu’il fut devant lui, le petit oiseau lui tendit une jolie étoile dorée :

- « Tiens, dit le rouge-gorge, tu peux l’accrocher si tu veux ».

Gidéon pris l’étoile dans son aile et s’avança jusqu’au sapin. De près, il était encore plus majestueux avec toutes ces couleurs étincelantes. Il sentit son cœur se remplir de joie et d’espoir. Alors qu’il allait poser l’étoile sur l’une des branches, une corneille l’aperçut et poussa un cri d’alerte.

Le cri retentit dans le ciel d’hiver et un silence lourd retomba autour d’eux. Gidéon se crispa, tous les regards étaient sur lui.

- « C’est un faucon ! dit un passereau, paniqué ».

Aussitôt, comme s’ils avaient tous retrouvés leurs esprits, les petits oiseaux s’envolèrent en hurlant, les rongeurs détalèrent à couvert, les taupes retournèrent dans la terre... Il n’y eut bientôt plus personne autour du sapin si plein de vie la seconde d’avant. Le cœur gros, Gidéon s’envola et retourna se cacher dans son arbre, atterré par ce qu’il venait de se passer.

Enfin à l’abri des regards, il observa à nouveau le sapin. Les animaux revenaient peu à peu, prudemment. La peur se lisait dans leurs yeux. Seul le petit rouge-gorge n’avait pas bougé d’une plume. Il regardait en direction de l’arbre dans lequel Gidéon s’était perché. Celui-ci se tapit un peu plus pour ne pas être vu.

- « Sheppa ! Oh par le Grand Oiseau, j’ai eu si peur ! ».
Les parents du petit rouge-gorge s’étaient précipités pour le prendre dans leurs ailes.

- « Qu’est-ce qui t’a pris Sheppa ? gronda son papa. Tu as eu de la chance, ce faucon a l’air d’être un vieil oiseau… Mais même à la retraite, les oiseaux de son espèce restent dangereux !

- Mais, c’est Noël… dit Sheppa.

- Noël ou pas, c’est un rapace et les rapaces n’ont rien à faire avec nous.

- Pourquoi ? Pépia le petit rouge-gorge.

- Parce qu’il est différent de nous ! ».

Sheppa continua de fixer l’arbre dans lequel le faucon avait disparu. Il ne pouvait plus le voir, mais il savait au fond de lui qu’il était toujours là. Il s’imagina être un vieux faucon, trop faible pour partir, obligé de rester seul sous les rigueurs de l’hiver, privé de la seule lumière qui illumine les cœurs dans la saison froide. Sheppa trouve cela fort injuste.

La décoration de l’arbre était achevée maintenant, le vent frais commençait à soulever des monticules de neige. Il était temps de partir. Un à un, tous les animaux regagnèrent tranquillement leur demeure.

- « Sheppa, appela sa maman, viens, nous rentrons !

- J’arrive, répondit le petit rouge-gorge ».

Après s’être assuré que ses parents n’avaient plus l’œil sur lui, il prit la dernière étoile qu’il avait dissimulée dans la neige et sautilla en direction de l’arbre dans lequel s’était caché Gidéon. Il laissa l’étoile à mi-chemin, bien en évidence sur le sol blanc, avant de s’envoler rejoindre sa famille.

Emu par le geste du petit rouge-gorge, Gidéon fondit en piqué vers le sol et attrapa l’étoile. Il était toujours un aviateur hors pair. Il se posa délicatement près du grand arbre de Noël maintenant désert et posa l’étoile avec précaution entre ses aiguilles.
Tandis qu’il contemplait son étoile au milieu de toutes les décorations, il se sentit un petit peu moins seul. Une étincelle d’espoir venait d’enflammer son vieux cœur.

Cette nuit-là, il y eut une épouvantable tempête comme on n’en avait plus vu depuis bien des générations. Le vent mugissait avec fureur dans les branches, arrachant ce qu’il pouvait avec ses bras puissants. Les arbres s’agenouillaient avec fracas, hurlant leur douleur. La tempête n’épargna le sommeil d’aucun animal. Tous se demandaient avec angoisse dans quel état ils retrouveraient leur sapin le lendemain.

Lorsque le vent se tut enfin, laissant place au soleil du matin, ils purent sortir pour constater les dégâts. Le sapin était en pièce, le tronc du grand arbre n’avait pas eu d’autre choix que de s’incliner devant la force du vent. La plupart des décorations avaient disparu, quelques-unes étaient encore au sol, éparpillées dans la poudreuse. Devant cet affreux spectacle, les cœurs se serrèrent, les yeux se remplirent de larmes, les moustaches s’arrachèrent.

- « Il faut tout refaire !
- Mais nous n’avons même plus de sapin !
- Et toutes les décorations sont perdues dans la neige, ça nous prendra des jours à tout retrouver.
- Et la veillée de Noël a lieu ce soir, nous n’aurons jamais le temps.
- Noël n’aura pas lieu cette année… ».

Devant l’ampleur de la tâche, les animaux se résolurent et regagnèrent leur foyer, plus triste que jamais. Tandis qu’il contemplait la dépouille du sapin, Sheppa aperçut quelque chose briller dans la neige immaculée. Curieux, il s’approcha de l’objet : c’était la pointe d’une étoile, celle qu’il avait laissée au vieux faucon.
C’est alors qu’il sentit une présence derrière lui. Se retournant, il aperçut Gidéon survoler les lieux du désastre. Ses ailes n’émettaient aucun bruit. Sa vue perçante repéra une pomme ensevelie sous la neige. Il fondit en un éclair et la saisit de ses serres avant de disparaitre dans le ciel, aussi soudainement qu’il était apparu.
Sheppa se mit à pépier à l’attention des animaux qui n’avaient rien vu de la scène :

- « Venez ! Suivez-moi ! ».

Interdits, les animaux hésitèrent. Mais Sheppa était connu pour sa générosité et sa sagesse, tous les habitants du bois l’appréciaient beaucoup. Ils se mirent en route à la suite du petit rouge-gorge. Sheppa les conduisit dans la direction où Gédéon avait disparu, comme pris d’une certitude. Ils marchèrent ainsi pendant un certain temps avant de parvenir à la lisière du bois. Les animaux restèrent bouche bée devant le spectacle qui s’offrait à leur vue.

Devant eux s’étendait une clairière au centre de laquelle trônait le pin le plus grand et le plus impressionnant qu’ils leurs avaient été donné de contempler. Cet arbre gigantesque brillait de mille feux, les rayons du soleil se reflétaient dans les décorations scintillantes qui l’ornaient.

À son tronc, le faucon Gidéon accrochait une à une les décorations qu’il avait passé la nuit à arracher des serres de la tempête et les reposaient à leur juste place. Lorsque le vieux faucon sentit des regards sur lui, il se retourna, prêt à fuir.

De longues minutes s’écoulèrent. Personne ne bougeait. Soudain, le père de Sheppa posa la question qui brulait tous les museaux et tous les becs des animaux :

- « Pourquoi est-ce qu’il a fait ça pour nous ?

- Parce qu’il est différent de nous, répondit le petit rouge-gorge ».

Sheppa voleta vers Gidéon et se saisit de l’étoile qu’il lui tendit. Le petit rouge-gorge la suspendit à l’une des branches du sapin, au côté du faucon qui accrochait la sienne. Devant cette scène étonnante, un à un, les animaux s’approchèrent du nouveau sapin et aidèrent Gidéon et Sheppa à y accrocher les décorations.

Le sapin était encore plus somptueux que le premier. Cette nuit de Noël, pour la toute première fois, tous les animaux fêtèrent Noël ensemble, au côté d’un vieux faucon.

S’il y a bien une nuit dans l’année où la magie et le désir d’être ensemble l’emportent sur nos différences, c’est la nuit de Noël. Tous les cœurs partagent l’espoir d’un monde meilleur, que l’on peut choisir de construire dès maintenant, en tendant l’aile à notre prochain, qu’il soit jeune rouge-gorge ou vieux faucon.

Fin

Contes et récits: À propos
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Le chat du vieux souffleur de verre

Margaux Gambier

La rue Dickens est une rue qui ne ressemble pas aux autres rues de la grande ville. Toutes de couleurs et de lumières parées, les autres rues se pavanaient dans leurs illuminations festives et leurs parfums de marron chauds. Elles sont arpentées par des passants qui sortent des boutiques les bras chargés de cadeaux et emplies de la bonne humeur des familles qui s’impatientent d’être réunies pour le soir de Noël.

La rue Dickens n’était pas l’une de ses rues où il flotte un air de fête. C’est une rue en marge, loin de tout et dont les maisons sont sans le sou. Les heures s’enchainent, sans que rien ne vienne la déranger. Les habitants la quittent tôt le matin pour ne rentrer que tard le soir, éreintés par un dur labeur pour arracher à la misère une bouchée de pain. Il n’y avait pas de place pour le rêve dans la rue Dickens. Le rêve ça ne remplit pas le ventre. Le rêve ça ne paye pas les factures.

Emmitouflé dans son épais manteau de neige, elle ne s’était vu attribuer aucune décoration pour les fêtes. Aucune guirlande lumineuse ne courrait sur ses lampadaires, aucune boule de verre coloré n’ornait ses façades. Les habitants de la rue Dickens vivaient le cœur morne dans l’indifférence et l’oubli de plus total.
Seule la fin de l’école parvenait à ramener un peu de vie et de joie dans ce quartier défavorisé. Abigaelle remontait l’allée enneigée, le lourd cartable dans le dos. Son cousin lui parlait de la grande roue qu’il avait aperçu au centre de la ville, loin, très loin de la rue Dickens. Abigaelle ne l’écoutait qu’à moitié. Elle pensait à ses parents qui travaillaient trop pour être avec elle le jour de Noël.

- Tu passeras les fêtes chez ton oncle et ta tante, avec ton cousin Firmin, avaient-il dit.

Elle aimait beaucoup son oncle et sa tante, et Firmin était comme un frère pour elle, mais la perspective de passer les fêtes rue Dickens ne l’enchantait guère. Tout paraissait fade et morne. Rien ne s’y passait jamais. Les gens qui y vivaient, n’étaient jamais surpris, jamais émerveillés. Leur cœur était plongé dans un long sommeil glacé.

Soudain, Abigaelle aperçut une forme sombre bouger sur sa droite. Elle tourna la tête et s’arrêta net, sans croire à ce qu’elle voyait. Devant elle, à quelques mètres de là se tenait un magnifique chat noir aux yeux d’ambre. Hypnotisé par la beauté de l’animal, elle resta là à le dévisager. C’était le premier animal qu’elle croisait depuis qu’elle avait posé sa valise dans ce quartier. Le chat la fixait intensément, assis au plus droit, la queue enroulée autour des pattes.

- Dis, tu m’écoutes au moins ? demanda Firmin, agacé de ne pas avoir de réponse.

Voyant sa cousine perdue dans sa contemplation, le petit garçon suivit son regard :

- Whaou, c’est la première fois que je le vois ! Alors Jérémy disait vrai, il existe vraiment ! dit-il, estomaqué.

- Tu sais qui est ce chat ? demanda sa cousine, dévorée par la curiosité.

Firmin secoua la tête :

- Non, mais je sais à qui il appartient. C’est le chat du vieux souffleur de verre. Les copains m’en avaient déjà parlé mais je ne les avais pas crus… Il faut dire qu’on ne voit jamais rien de très vivant dans cette rue.

- C’est quoi, un souffleur de verre ? demanda Abigaelle.

- Aucune idée.

Le chat continuait de fixer les deux enfants, impassible. Soudain, il se leva et disparu au détour d’une maison. Se glissant sous une palissade, il sauta avec grâce sur une gouttière et se faufila entre les tuiles, laissant les deux enfants seuls dans la rue grisâtre.
L’animal parvint bientôt sur un toit qu’il connaissait bien. Il se laissa glisser le long du crépi et atterrit pattes tendues sur le sol. En un bond, il fut sur le rebord de la fenêtre qu’il se fit ouvrir de quelques miaulements pressants.

- Ah, te voilà donc vieux bandit ? J’ai bien failli commencer sans toi ! lui dit le souffleur de verre. L’animal se frotta contre les jambes de vieil homme pour le saluer. L’homme sourit et laissa ses doigts courir dans la douce fourrure du félin.

Le vieil homme souffrait de solitude, ce qu’il avait à dire n’intéressait pas grand monde. Il vivait de sa passion dans l’indifférence générale. Les passions, ce n’étais pas bien vu dans la rue Dickens. Le beau ne sert à rien, tout le monde le savait.
L’homme récupéra le verre rougit et posa l'extremite de la canne a verrier sur ses lèvres. Il commença patiemment à le modeler la matiere à sa guise, a la force de ses poumons. Ses doigts usés et tremblants retrouvaient toute leur assurance lorsqu’il s’agissait de sculpter le verre et son souffle retrouvait toute sa puissance d'antan. Couché sur son établit, son chat ne perdait pas une miette du processus. D’ailleurs, ce n’étais pas vraiment son chat. Il était apparu sous sa fenêtre un beau matin et était rentré le plus naturellement du monde, comme s’il était chez lui. Une amitié sincère s’était tissée entre l’homme et le félin depuis lors. Mais le chat n’était pas dupe, son ami l’humain sentait la tristesse et la solitude. Il le percevait aussi distinctement qu’il sentait l’épuisement des autres habitants de la rue. Et tandis qu’il observait le vieux souffleur de verre tout absorbé par sa création, il songeait à ce qu’il pourrait faire pour atténuer quelque peu cette odeur de solitude si tenace. C’est alors qu’il pensa aux enfants qu’il avait croisé tantôt. Il ferma les yeux et laissa échapper un ronronnement de contentement.

Le lendemain, lorsqu’Abigaelle et Firmin remontèrent la rue Dickens, le chat du vieux souffleur de verre les y attendait, à l’endroit exact de leur précédente rencontre. Le félin s’engagea dans une allée avant de se retourner vers eux, comme pour les inviter à le suivre. Intimidé, les deux enfants hésitèrent d’abord mais la curiosité fut plus forte.

Ils précédèrent le chat à travers l’allée enneigé et parvinrent bientôt chez le vieux souffleur de verre. Le chat miaula au carreau et le vieil homme apparu bientôt au dehors. En voyant les deux enfants, il se dérida, plein d’entrain à l’idée d’avoir de la visite :

- Eh bien, dit-il au chat, tu as invité des amis à toi à ce que je vois. Entrez donc ! Vous allez avoir froid.

Abigaelle et Firmin prirent place dans l’atelier. Le vieux souffleur de verre était un homme affable et très doux. Il avait une multitude d’histoires à raconter pour qui voulait bien lui prêter oreille. Les enfants l’aimèrent beaucoup. Ses étagères étaient remplies d’une multitude de boules de verre aux couleurs chatoyantes qu’il avait créé patiemment de ses doigts. Les enfants le regardèrent œuvrer sur une nouvelle décoration. L’artisan leur expliqua patiemment chaque étape. Le verre pris peu à peu vie sous l’œil ébahit des enfants. Bientôt, une boule de verre aux couleurs ambrées comme les yeux du chat, naquit de ses mains expertes.

Devant l’émerveillement des deux enfants, le vieux souffleur de verre sentit son cœur se gonfler de bonheur. Les heures passèrent si vite que les enfants furent surpris de voir la lune déjà levée. Il était temps de rentrer. Avant de les laisser partir, le vieil homme leur fit présent de la boule qu’il venait de créer. Il espérait ainsi que les enfants ne l’oublierais pas tout de suite.

- Nous reviendrons, on vous le promet ! Lancèrent les enfants avant de disparaitre dans la nuit noire.

Le vieux souffleur de verre continua d'agiter la main longtemps après leur départ. Le petit félin apparu entre ses pieds et miaula un air doux. L’homme s’accroupit pour caresser l’animal avec douceur :

- Sois gentil, raccompagne les pour qu’ils retrouvent bien le chemin de leur maison.

L’animal se lança aussitôt à la poursuite des deux petits humains. Il escalada avec souplesse les toits des maisons de la rue Dickens pour repérer Firmin et Abigaelle de sa vue perçante. Le souffleur de verre était admiratif de la puissance du félin. Son cœur se pinça en songeant qu’un jour viendra peut-être où le chat disparaîtrais de sa vie aussi soudainement qu’il y était entré. Il vivait dans cette crainte, car il savait bien que son ami est un esprit libre et que tous les lieux se valent pour lui. Que resterait-il au vieil homme, dans cette rue si morose ?

Le chat retrouva bientôt la trace des enfants. Ils étaient parvenus devant chez eux. Alors que Firmin allait entrer pour se réchauffer, la boule de verre toujours entre les mains, sa cousine l’arrêta.

- Attends, j’ai une idée. Et si on accrochait la boule dehors ?

Firmin la regarda comme si elle était tombée sur la tête.

- Pourquoi on ferait ça ?

- Pour que tout le monde puisse la contempler ! S’écria Abigaelle, heureuse de sa trouvaille. Elle prit la boule que lui tendit son cousin et ils l’accrochèrent au lampadaire devant leur maison, à la vue de tous.

- Et voilà, dit Abigaelle qui prenait du recul pour contempler leur œuvre. La rue a déjà l’air moins sombre comme ça.

Son cousin acquiesça, convaincu. C’était une excellente idée.
Les deux enfants rentrèrent enfin, laissant le chat s’approcher doucement du lampadaire si joliment décoré. Oui, c’était vraiment une merveilleuse idée, pensa le chat. Et une autre idée plus merveilleuse encore lui vint.

Pour mettre son plan à exécution, il attendit le milieu de la nuit, lorsque son ami humain ronflait à en faire trembler les murs de son atelier. Il se glissa sur les étagères avec volupté et contempla toutes les sphères de verres qui s’y succédaient. Son choix se porta sur une magnifique décoration d’un bleu glacé. Il saisit l’anneau d’accroche délicatement entre ses crocs et revint dans la rue, l’objet de son délit toujours dans la gueule. Il parvint devant la maison où les enfants étaient entrés. Sans hésiter, il sauta sur le rebord d’une fenêtre et miaula discrètement derrière la vitre. La réponse qu’il espérait ne fut pas longue. La fenêtre s’ouvrit bientôt sur les deux enfants, le visage encore assoupit.

- Regarde, c’est le chat du vieux souffleur de verre, s’exclama Abigaelle, soudain tout à fait éveillée.

- On dirait qu’il a une boule de verre dans la gueule. Mais pourquoi il miaule comme ça ? s’interrogea Firmin.

- Viens, allons le découvrir !

Les enfants passèrent le premier pull qu’ils trouvèrent par-dessus leur pyjama et sortirent en hâte dans la ruelle.
Le chat noir les y attendaient. Il trottina jusqu’à un autre lampadaire et déposa la boule à son pied. Puis il regarda les enfants et miaula avec insistance.

- Je crois qu’il veut qu’on l’accroche, comme on a fait avec la première, souffla Firmin à sa cousine.

Les deux enfants ornèrent donc le lampadaire de cette nouvelle décoration. Le chat fila ventre à terre vers la maison de son ami souffleur de verre et revint quelques minutes plus tard avec une nouvelle boule entre les crocs. Firmin, Abigaelle et le chat travaillèrent ainsi jusqu’au petit matin. Lorsque le soleil se leva enfin, il ne restait plus un seul lampadaire dépourvu de décoration.

Lorsque les habitants sortirent de leurs maisons uns à uns, l’œil aussi terne que les autres jours, ils s’arrêtèrent net sur le seuil lorsqu’ils découvrirent ce que les enfants avaient fait. La rue Dickens était méconnaissable. Chaque lampadaire portait fièrement une boule de verre colorée. Les rayons du soleil frappaient chaque sphère, baignant la neige d’un halo de lumière. Il flottait un air de fête comme on en avait plus vu depuis longtemps dans ce quartier. Alors, les habitants de la rue Dickens prirent tout à coup conscience que nous étions la veille de Noël. Ils contemplèrent émerveillés la ruelle ainsi décorée et leur cœur depuis trop longtemps assoupit se mit à battre plus fort.

Un à un, ils se mirent à préparer Noël comme ils ne l’avaient plus fait depuis longtemps. Il n’y avait pas de mets somptueux ni de cadeaux démentiels, car on n’avait peu de moyens dans la rue Dickens, mais on avait le rêve et le bonheur d’être ensemble. On avait l’entraide et l’amour. Il ne manquait rien de plus pour passer un merveilleux Noël. C’était comme si tout une rue marquée du désespoir s’était soudain rappelé le sens de cette fête, comme si tout à coup, il leur apparaissait que le beau, qui n’est pas utile, est pourtant essentiel aux humains que nous sommes.

On s’affaira donc en cuisine, on mit les tables et les chaises dans la ruelle, sous les boules de verre. On installa des guirlandes lumineuses trouvés ça et là dans quelques greniers pour illuminer le ciel gris. On dressa des toiles et ont fit écran au vent avec quelques planches. Et tout à coup, c’était toute la rue qui était dehors à partager un peu de joie autour d’une assiette de biscuits. Il manquait pourtant quelqu’un, et les habitants en prirent soudain conscience :

- Ces boules de verre sont une vraie merveille. Qui a bien pu faire ça ?

Les deux enfants échangèrent un coup d’œil complice. Ils se proposèrent de guider les curieux chez le vieux souffleur de verre. Le vieil homme n’en croyait pas ses yeux de voir tant de ses voisins massés devant sa porte. Ils passèrent l’après midi du vingt-quatre décembre tous ensemble, échangeant souvenirs et histoires. Et peu à peu, l’odeur de la solitude s’estompa.

Le chat du vieux souffleur de verre observait la scène avec satisfaction. Voilà bien longtemps qu’il n’avait pas vu son ami humain si heureux. Et parce qu’il est un chat, esprit libre d’aller et de venir, il laissa les humains entre eux pour cette belle soirée. Sautant de toit en toit, il laissa son instinct le guider vers d’autres cœurs gelés à réchauffer.

Peu avant de disparaitre au cœur de la douce nuit, il prit un instant pour se délecter de l’écho des rires qui emplissaient la rue Dickens.

Contes et récits: Bienvenue
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Le garçon qui parlait aux arbres

Margaux-G

-« Dimy ? Qu’est-ce que tu fais encore ? »


L’enfant ne réagit pas. Son grand frère, de plus en plus impatient, avait beau l’appeler, le petit garçon restait planté au bord du chemin, les yeux rivés sur un nid d’oiseau délicatement posé dans le feuillage d’un arbre.


Le grand frère s’approcha de lui, excédé :
-« Allez! Dimy, viens. Nous allons être en retard ».


L’enfant continua de fixer le nid dans lequel un petit oisillon ne cessait de pépier sa peur.
Non loin, perchés sur la branche, deux autres oiseaux, bien plus grands, semblaient l’encourager à les suivre.

-« Tu vois, dit le garçon en les pointant du doigt, l’oisillon pleure parce qu’il a peur de quitter le nid où il se sent bien.
Même si ses parents tentent de le rassurer, il a peur d’avancer dans ce monde qu’il ne connaît pas ».


Son frère leva les sourcils, dubitatif :
-« Qu’en sais tu? »


Le garçon haussa les épaules :
-« Parce que l’arbre me l’a dit. »


Son frère laissa échapper un profond soupir. Il saisit brusquement la main de l’enfant qui se raidit à son contact.
Sans en tenir compte, il l’arracha brutalement à sa contemplation.
Il marcha à grands pas, l’enfant peinant à le suivre.


Ce dernier jeta un coup d’œil inquiet au visage de son frère.
L’adolescent avait une expression fermée.


Nerveux, il lui demanda ;
-« Tu es fâché ? »
-Non ! Lui répondit sèchement son frère.
-Pourtant, on dirait bien que tu l’es, dit l’enfant d’une toute petite voix.
-Et bien, je ne le suis pas ! Répondit le jeune homme d’un ton encore plus sec ».


Du coin de l’œil, il vit son petit frère se recroqueviller un peu plus. Il s’en voulut aussitôt.
-« Tu sais, tu ne peux pas continuer à dire que tu parles aux arbres comme ça, poursuivit-il, plus doux.
-Pourquoi ? demanda l’enfant.
- Parce que, c’est tout simplement impossible ».


L’enfant fronça les yeux, des plis apparurent sur son front juvénile :
-« Tu as déjà essayé ?
-De quoi ? demanda son frère, surpris.
-De parler aux arbres.
-Bien sûr que non !
- Alors comment tu peux dire que c’est impossible ? demanda le garçon ».


Ses yeux bleus perçant osèrent soutenir le regard contrarié de son grand frère, attendant une réponse.

-« Allez ! dépêche toi, tu vas être en retard à l’école, lui répondit son aîné en éludant la question ».


Le reste du trajet se fit dans le silence.
Lorsque les grilles de l’école primaire se dessinèrent devant eux et que les premiers cris des enfants retentirent dans le soleil du matin, le garçon s’arrêta net, comme pétrifié.


Exaspéré, son grand frère revint vers lui :
-« Qu’est-ce qu’il se passe encore ? »
L’enfant leva sur lui ses prunelles emplies d’appréhension :
-« Il faut vraiment que j’aille à l’école ?
-Oui.
-Pourquoi ?
-Quoi, pourquoi ? Mais qu’en sais-je, moi ? S’emporta l’adolescent. Tu dois aller à l’école et je dois aller au lycée, c’est comme ça et puis c’est tout ! ».

Le garçon baissa la tête, fixant ses pieds.
-« Les autres enfants ne m’aiment pas beaucoup… Ils disent que je suis bizarre…
-Tiens donc ! Ne put s’empêcher de rétorquer l’adolescent.
Devant la mine déconfite de son petit frère, il regretta ses mots.
-Toi aussi, tu me trouves bizarre ? demanda l’enfant, fixant toujours ses chaussures ».


Son grand frère sentit un pincement dans son cœur.
-« Oh, Dimy… »

« Pierre ! ».
Les deux garçons relevèrent la tête. Au loin, une lycéenne hélait l’adolescent.
Ce dernier lui fit un signe de la main, tout en souriant.
Ce sourire n’échappa pas à son jeune frère :
-« C’est qui ? demanda-t-il, plein de curiosité.
-C’est Fanny, une amie du lycée. On fait la route ensemble.
-Tu l’aimes bien ? demanda l’enfant.
-Je suppose que oui, répondit Pierre, surpris.
-Comme papa aime maman ?
-Oui, enfin non, c’est compliqué… Bredouilla Pierre. Bon allez ! file où tu vas vraiment être en retard!».
L’enfant parut hésiter. Pierre tenta de le rassurer :
-« Tout se passera bien, n’ai pas peur.
-Tu me le promets ? demanda le garçon plein d’espoir.
-Oui, je te le promets. Allez ! Vas-y, maintenant. Je passe te reprendre ce soir ».


Pierre resta un instant à observer son petit frère franchir lentement les grilles vertes de l’école, le lourd cartable dans le dos et la boule au ventre.
Fanny s’approcha, et, suivant son regard :
-« C’est ton petit frère ? »
Pierre hocha la tête.
-« Il est mignon, repris la jeune fille. Comment il s’appelle ?
-Dimitri. Il est… il est différent ».
Fanny pencha la tête, interrogative :
-« Comment ça ? »
Pierre poussa un nouveau soupir, mais ce n’était pas de l’agacement cette fois, plutôt de l’affliction :
-« Il affirme qu’il peut parler avec les arbres. Mon père pense qu’il est un peu barge. Ma mère quant à elle, est certaine que cela lui passera avec l’âge. Quant aux médecins, ils ont tous leurs théories… L’autisme revient souvent mais ils ne sont sûrs de rien… Et pour tout t’avouer, je ne sais pas trop comment me comporter avec lui… ».


Un silence s’installa entre les deux adolescents.
Pierre était gêné, regrettant presque de s’être livré de la sorte.
Soudain, il sentit une main se poser avec douceur sur son épaule. Tournant la tête, il rencontra les yeux pleins de compassion de Fanny.

-« Tu sais, dit-elle, il va devoir passer sa vie à se défendre du regard des autres. Toi, tu es son frère, il va avoir besoin de toi, alors tu devrais essayer de le comprendre.
-Comment ?
-Essaye de voir le monde avec ses yeux à lui ».


Emus, Pierre et Fanny se mirent en route pour le lycée, laissant les enfants de l’école primaire rentrer en classe en chahutant.



Quelques heures plus tard, le silence qui planait sur la cour de récréation fut brisé par la sonnerie. Une horde de gamins débordant d’énergie se déversa sous le préau.


La petite silhouette de Dimitri tenta de se frayer un chemin parmi les jeux des autres enfants. Ses pas le conduisirent à l’écart, tout au fond de la petite cour, vers son bouleau. Cet arbre était l’ami avec lequel il passait toutes ces récréations. Il posa ses mains sur le tronc frêle avec tendresse.


-« Alors, tout va comme tu veux, le débile ? »
Dimitri fit volte-face pour voir s’approcher Sacha et sa bande. Les autres ricanèrent devant le regard affolé de Dimitri. Sacha marcha jusqu’au bouleau et fouilla dans sa poche :
-« Regarde ce que j’ai apporté, le débile ».


La lame d’un petit canif apparue dans la main de l’enfant. Goguenard, il approcha le couteau du tronc de l’arbre.
-« Non ! Hurla Dimitri ».
Sacha continua d’entailler l’écorce. De la sève poisseuse s’écoulait des blessures du bouleau.
-« Arrêtez ! Vous lui faites mal ! Cria Dimitri, paniqué ».


Incapable d’en voir plus, il se mit à courir tête baissée jusqu’aux grilles de l’école, aveuglé de sanglots. Tandis qu’il déboulait dans la rue, une main l’attrapa au vol et le retint. Dimitri leva la tête et reconnu Pierre derrière la cascade de larmes qui inondait son visage.
-« Dimy, qu’est-ce qui se passe ? ».
L’enfant se dégagea de l’emprise de son frère :
-« Ils l’ont blessé ! Tu avais dit que tout irait bien et tu as menti ! Rien ne va ! Tu es un menteur, comme les autres ! S’époumona-t-il. Ils disent tous que je suis fou ou débile. Ils disent que parler aux arbres, ça ne se peut pas ! Ils mentent tous ! ».


Pierre vit son petit frère courir loin de

lui, interdit.
-« Dimy, attends ! ». Lui cria-t-il, mais il s’était déjà enfui ».
Pierre se mit à courir pour le rattraper mais le garçon avait disparu de son champ de vision. Paniqué, il parcouru les rues, de plus en plus désemparé.

Comprenant que courir à l’aveuglette ne le mènerait nulle part, il s’arrêta un instant pour reprendre son souffle :
-« Comment Dimitri réfléchirait ? se demanda-t-il».


Il se força à observer ce qu’il y avait autour de lui et son regard s’arrêta sur un érable majestueux.
Le vent dans son feuillage semblait désigner une unique direction.
-« Mais oui, bien sûr, murmura Pierre ». Il reprit sa course en suivant la direction qu'indiquaient les arbres qu’il croisait sur sa route.

Il parvint devant un saule pleureur.


Sous ses feuilles tombantes, il trouva Dimitri pelotonné contre le tronc du grand arbre. Pierre s’approcha doucement, se frayant un chemin sous le dôme de feuilles. Un peu gauche, il s’assit en face de son frère.
-« Si les gens mentent, dit-il, hésitant, c’est parce qu’ils ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas… Dis-moi, Dimy, est-ce que les arbres mentent ? ».
L’enfant secoua la tête en signe de négation.
-«Alors les hommes devraient un peu plus les écouter ».


Dimitri osa enfin regarder Pierre dans les yeux. Ses larmes se tarirent.
Il offrit à son frère le plus beau des sourires.
Pierre le lui rendit :
-« On rentre ? demanda-t-il après quelques instants ».

Ils se levèrent tous deux et prirent la route côte à côte, plus complices que jamais.
Avant de le perdre de vue, Pierre se retourna pour contempler une dernière fois le grand saule pleureur.

« La différence est source de richesse » entendit-il alors.


Paniqué, Pierre jeta des coups d’œil aux alentours. Mais il n’y avait personne d’autre qu’eux et… l’arbre.
-« Tu as entendu ça ? demanda-t-il à son petit frère.
-Non, dit l’enfant en haussant les épaules, c’est à toi seul qu’il parlait ».
Pierre se figea, abasourdi :
-« Attends ! Quoi ?
-Allez, viens ! » Lui lança Dimitri en riant. Pierre rangea ce mystère dans un coin de sa tête et s’élança à la suite de son petit frère. Ils passèrent bientôt devant l’arbre qui abritait le nid d’oiseau que Dimitri avait remarqué le matin même.

-« Regarde Dimy, s’exclama Pierre en pointant le nid du doigt ».


Là-haut, perdu dans le feuillage, le petit oisillon faisait courageusement ses premiers pas en dehors du nid, sous le regard bienveillant de ses parents.
Les yeux rivés sur ce spectacle, Dimitri glissa sa petite main dans celle de Pierre.


Les deux frères restèrent un long moment à contempler les premiers battements d’ailes de l’oisillon dans le soleil de printemps déclinant, espérant secrètement qu’il trouvera le bonheur auprès de chaque arbre qui voudra bien l’accueillir dans ses branches.

Contes et récits: Bienvenue
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Le doudou

Margaux-G

La première fois que j'ai ouvert mes yeux de verre sur ce monde, j'ai vu la froideur des machines, le ronronnement de l'usine qui nous produisaient à la chaîne, les ventres de tissus bourrés de ouate cotonneuse, les tapis roulants mécaniques, les douces mains des couturiers qui achevaient l'œuvre...


Nous étions des centaines, tous identiques.


Pâle copie d'une forme animale, entassés dans des containers et des entrepôts dans l'attente d'un avenir meilleur. Je ne savais rien, ne possédait rien, ni souvenirs à revisiter dans la pénombre, ni identité à défendre. Rien hormis la certitude de n'être rien de plus qu'une peluche identique à mille autres.


Toutes mes convictions se sont envolées dès l'instant où l'on m'a déposé dans ses bras. Elle m'a longuement regardé avant de me serrer contre elle. Tandis qu'elle me répétait fièrement le nom qu'elle m'avait choisie, j'ai eu la certitude d'être unique à ses yeux.


Cette enfant m'avait ouvert son cœur. Dès cet instant, elle devint unique je devins pour elle, le seul, l'irremplaçable. J'ai écouté tous ses doutes et essuyé toutes ses larmes. J’ai éloigné chaque cauchemar, et veillé sans relâche sur les graines de ses rêves. J'ai vécu ses plus grandes aventures, toutes issues de sa jeune imagination. Je l'ai suivi jusqu'au bout de ses mondes, me livrant à toutes les facéties pour la voir me sourire. J'ai collectionné tous ses rires dans mes oreilles synthétiques, passé des nuits blanches à écouter ses confidences. J'ai connu la boue et la pluie, l'herbe verte et les doux rayons du soleil, les jours de lessive où j'entendais ses cris, frustrée que nous soyons séparés pour une heure.


Je l'ai vu grandir et peu à peu, délaisser ses poupées. Les posters sont tombés, la déco de son univers à changée mais je suis resté, allongé sur le couvre lit, attendant patiemment que le soir ne vienne et me la rende. J'écoutais alors le récit passionné de ses journées, partageait les transports de ses premiers émois et consolait ses bleus au cœur.


Le temps a passé et peu à peu, j'ai dû lentement m'effacer. Je me faisais vieux. Ce n’était plus mon rôle de veiller sur elle et de recevoir ses baisers. J'ai connus plusieurs pièces avant de m'installer définitivement au grenier. Tout là-haut, lové au creux des vestiges de son enfance, j'ai continué de l'aimer, chérissant chaque souvenir qu'elle m'avait offert à moi, la petite peluche semblable à tant d'autres.


Je n'ai aucune rancœur en mon âme pelucheuse, elle m'a offert un nom et une famille. Et même s'il a fallu que je cède ma place, que je m'évince de son existence pour la laisser avancer, je suis heureux du passé qu'on m'a alloué. Du vaste monde, j'ai vu peu de choses, mais j'ai aperçu trop d'âmes esseulées et trop de foyers dépourvus d'amour. Je suis heureux d'avoir eu la chance de remplir mon cœur de tendresse...


Cependant, il faut bien avouer que par les longs soirs d'hiver où seuls les moutons de poussière et les souris viennent me visiter, je regrette les jours d'antan. Mais la vie me réservait une autre surprise.


J'ai perçu sa présence dans mes vibrisses de plastique avant même d'entendre le grincement de la trappe du grenier. Le temps avait quelque peu érodé l'enfant que j'ai connu mais je la reconnaîtrais entre toute: elle est unique, elle l'a toujours été.


Elle m'a saisi avec précaution et époussetât avec toute la tendresse du monde. Ses grands yeux bleus se plongèrent dans les miens et nous revisitâmes ensemble tous ces jours colorés rythmés par les jeux, les chants et les goûters.


Es-tu prêt ? me demanda-t-elle silencieusement.
Bien sûr que j'étais prêt !

Alors elle m'arracha aux ténèbres du grenier pour me tourner vers l'avenir. Un avenir qui me tendis ses petits bras potelets depuis son berceau, gazouillant de joie à ma vue. Le bébé passa ses petits doigts dans ma douce fourrure et je sus que j'étais à nouveau le doudou de quelqu'un.


L'enfant s'endormi pelotonné contre moi, sous le regard attendrie de sa mère. Elle me caressa de nouveau avec ce regard pétillant qui animait ses yeux d'enfant:
-"Tu veilleras sur lui ? Tu lui offriras tout ce que tu m'as offert ? Me demanda-t-elle doucement.
« Je te le promets » lui répondis-je.
-"Tu sais, ajouta t-elle tandis qu'elle quittait doucement la chambre de son fils, j'ai grandit, mais je n'ai pas oublié".


Je ne suis qu'un doudou qui ressemble à tant d'autres. Pourtant, je suis le gardien de l'âme, la clef des souvenirs, l'amour d'une enfant qui grâce à moi, est devenue une adulte qui ne ressemble à aucune autre adulte.

Contes et récits: Bienvenue
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Les mauvais jours

Margaux-G

Marceau repoussa le plateau du petit déjeuner que lui avaient apporté les aides soins. Cela ne faisait que trois jours qu’il était hospitalisé et il commençait déjà à trouver cette routine étouffante.


Tous les jours les mêmes visages, tous les jours le même chocolat en poudre et le même pain stérile, tous les jours réveillé par les mêmes sons : des bébés qui pleurent, des machines aux alarmes aiguës, des sonneries de téléphone stridentes… Mais il fallait bien prendre son mal en patience, les gens qui attendent en ces lieux ne le font pas par choix.


La porte de la chambre s’ouvrit sur l’une des infirmières du service.

-« Bonjour ! Dit-elle d’une voix énergique. Je viens pour changer vos pansements.

-Faites donc, dit Marceau en se redressant.


L’infirmière s’affairait déjà autour de ses jambes fracturées aux multiples écorchures. Épinglé sur sa poitrine, un badge indiquait qu’elle se prénommait Isabelle.

-« Comment vous sentez vous ? demanda-t-elle sans lever les yeux de son ouvrage.

-Comme quelqu’un qui aurait eu un accident de vélo, qui aurait fait un soleil et dégringolé une pente de huit mètres de dénivelé pour atterrir dans un fossé… » Répondit-il, ironiquement.

Isabelle sourit :

-« Je vois que vous n’avez pas laissé votre humour, dans ce fossé ».

Marceau rit de bon cœur. L’infirmière semblait satisfaite de l’état des plaies.

-« Alors, dites-moi tout, lui dit Marceau, à quelle sauce je vais être mangé ?

- Vous avez plusieurs fractures, donc ce sera plâtres et fauteuil roulant pour six mois, après ça, vous serez à nouveau sur pieds ! ».


Marceau fit la grimace :
-« J’imagine que le vélo n’a pas eu autant de chance ! ».

Isabelle rétorqua, amusée :
-« Il faut bien combattre les mauvais jours pour apprécier ceux qui seront les meilleurs de votre vie. »


Elle ne se doutait pas une seconde que cette phrase aurait pour effet de replonger son patient dans ses plus vieux souvenirs.

-C’est drôle, dit-il lentement. C’est une phrase que disait souvent mon frère lorsque nous étions plus jeunes.

-Oh, vous avez un frère ? Se réjouit-elle. Depuis qu’il était admis ici, il n’avait pas reçu une seule visite.

-Oui, mon frère aîné. C’est quelqu’un de très courageux que j’admire beaucoup… Il marqua un temps d’arrêt. Je ne suis pas sûr qu’il puisse en dire autant de moi… ».

-Pourquoi ça ? demanda Isabelle ».


L’homme ne dit rien, si bien qu’elle crut avoir été indiscrète. Mais il poussa bientôt un profond soupir, avant de commencer sa narration :

-« Maxime avait sept ans lorsqu’on a su qu’une maladie le rongeait en silence. Moi je n’en avais que quatre. Au début, c’était trois fois rien. Il tombait quand il courrait, sans raison apparente. Il se relevait et repartait, sans trop s’en préoccuper. Mais les chutes devinrent de plus en plus fréquentes… Et très vite, il n’arriva plus à se relever. La fatigue s’installa. Il fit de nombreux examens avant que le verdict ne tombe : une myopathie, une maladie neuromusculaire dégénérative.


Dès lors, sa vie est devenue une succession de compromis et d’adaptation, des complications qui se rajoutaient au fil des années. La première, se fut l’arrivé sur sa table de chevet de l’appareil respiratoire qui l’aiderait à respirer chaque nuit…
-« J’imagine que vous avez vécu des moments difficiles… dit Isabelle, compatissante ».
Marceau se tût, perdu dans ses souvenirs. Depuis la chambre voisine, un bip sonore résonna dans l’air matinal, se bruit était le même que celui émis par la ventilation qui permettait à son frère de respirer plus facilement dans son sommeil. Ce simple son le ramena instantanément à l’époque où il été petit garçon, observant par l’entrebâillement de la porte ce qui été la cause de toute cette agitation dans la chambre de son grand frère.

-« Et je vais devoir mettre ce masque et ces tuyaux toutes les nuits ? ».

Maxime était allongé dans son lit, la machine à sa droite qui ronronnait bruyamment et le masque relié par des tuyaux qui
reposait sur le lit. Leur mère hocha la tête en silence.

-« Et… Maxime hésita avant de livrer à ses parents sa plus grande inquiétude, ça va être pour toute ma vie comme ça ? ».

Bouleversé, sa mère s’apprêtait à répondre quand soudain, Maxime aperçut son petit frère Marceau qui écoutait à la porte. Un vrai sourire se peignit sur son visage. Il lui fit signe d’entrer :

-« Ah ! Te voilà enfin ! Approche jeune officier, nous nous apprêtions à décoller ! ».


Le petit Marceau, se démena pour grimper sur le lit de son frère. Ils s’assirent tout deux entre les cousins :

-« Bienvenu a bord de l’Air-Force-329, fierté de l’armée de l’air pour sa première mission, dit Maxime. Il se tourna vers son petit frère. Officier Marceau, veuillez procéder à la check-list de l’avion, je vous prie ».

Pris au jeu, l’enfant se mit à appuyer sur des boutons imaginaires, tandis que son frère revêtait d’un air très solennel, le masque de son appareil respiratoire, comme s’il s’agissait de son masque de pilote de chasse.

-« Et moi, pourquoi j’ai pas de masque ? demanda le petit Marceau ».


Maxime a levé la tête vers ses parents qui s’empressèrent de tendre au petit un second masque. Aux anges, l’enfant le revêtit et se prépara au décollage. Son grand frère avertissait déjà la tour de contrôle :

-« Alpha Echo Fox-Trot, ici Air-Force-329 demande permission de décoller ». La tour de contrôle autorisa le départ avec la voix bienveillante de leur père. Celui-ci, après un coup d’œil à son plus grand fils, appuya sur l’écran tactile de l’appareil respiratoire et la machine se mit en route.

Les deux enfants ne tardèrent pas à s’endormir, la tête dans les nuages. Marceau se doutait bien que son père l’avait replacé ensuite dans son propre lit.


Il sourit à l’évocation de se vieux souvenir. Ce premier contact avec la maladie de son frère n’avait rien de traumatisant dans sa mémoire.

-« Dès lors, dit-il à son infirmière, chaque nouvelle épreuve était le prétexte d’un nouveau jeu. Lorsque que les médecins ont donné à Maxime des attelles qu’il devait mettre à ses jambes, il me racontait qu’en fait d’être allé à l’hôpital, il était partit sur un bateau pirate et avait obtenu ses jambes de bois lors de l’abordage d’un galion espagnol aux cales emplies d’or ».

-« Je me souviens également, repris Marceau, qu’à l’arrivé du corset qu’il devait porter pendant trois ans sans l’enlever de son dos, il m’avait dit s’être transformé en tortue ninja et dès lors, nous nous entrainions chaque jours à combattre les méchants et réclamions de la pizza à tous les repas ».


Isabelle et lui rirent de ces tendres histoires.

Mais bientôt, le visage de Marceau s’assombrit :

-« En grandissant, ces histoires qui ont bercés mon enfance ne m’amusaient plus. Plus je prenais conscience de la menace qui planait sur mon frère, plus j’étais agacé de le voir prendre les choses avec autant de légèreté. A vrai dire, j’ai toujours jalousé son courage. Maxime n’a peur de rien… Alors que moi je m’inquiète pour tout… Ce sont toutes ces raisons qui m’ont, malgré moi, éloigné de mon grand frère… ».

Isabelle, sentant le regret sur le visage du jeune homme, dit d’une voix douce :

-« En vingt-sept ans de travail à l’hôpital, je peux vous dire que j’en ai vu passer des familles qui ont vu leur vie chamboulé par une maladie. Et à chaque fois, c’est le frère ou la sœur qui en souffre indirectement. Son enfance vole en éclat à mesure qu’il voit se décliner la santé de son frère ou de sa sœur, il se sent mis de côté et souffre de ressentir cette jalousie, comme s’il n’en avait pas le droit parce que lui à bénéficié d’une bonne santé ».

-« Je crois n’avoir jamais ressenti ça… dit lentement Marceau, prenant conscience de quelque chose. Alors, Maxime m’a toujours préservé, il m’a inclus dans ses jeux tout en me laissant le rêve de l’enfance ».

Isabelle hocha la tête :

-« Ce n’est pas vrai de croire que votre frère n’a peur de rien. Tout le monde ressent la peur, la peur est humaine. J’ai vu passer le vrai courage plus d’une fois, et le vrai courage, Marceau, ça n’a jamais été l’absence de peur. Le vrai courage, c’est qu’en dépit de toute cette peur qui prend d’assaut notre cœur, on trouve la force de la dissimuler pour préserver les gens que nous aimons.

-« C’est grâce à ce courage que Maxime a fait briller le soleil sur les mauvais jours… Merci Isabelle ! Merci, dit Marceau en serrant dans ses bras l’infirmière ».

Soudain, la porte de sa chambre s’ouvrit.

-« Je crois bien que vous avez de la visite, dit Isabelle en s’éclipsant discrètement ».

Les parents de Marceau entrèrent et embrassèrent leur fils. Un kiné de l’hôpital les précéda en apportant un fauteuil roulant manuel. Tandis que Marceau s’installait dans ce qui allait être ses jambes pendant six mois, il aperçut Maxime qui l’observait dans l’entrebâillement de la porte.


Désormais lui aussi en fauteuil roulant, il avait une expression que Marceau n’avais encore jamais vu sur son visage. Il y lut de la peur. Maxime avait peur pour son frère.

-« Ah ! Te voilà enfin ! Approche donc, jeune pilote ! lui lança Marceau, tout sourire ».


Prenant son fauteuil en main, il sortit à sa rencontre :

-« Le grand prix va commencer, tu es prêt à mordre la poussière ? demanda Marceau à son frère.
Le visage de Maxime s’illumina d’un sourire :

-« Quel grand prix ?

-Le grand prix de Formule 1 bien sûr ! C’est bien pour ça que qu’on s’entraine depuis des mois, non ?

-Méfie-toi, petit bleu, je m’entraine depuis bien plus longtemps que toi ! Renchérit Maxime. »

Les deux frères se lancèrent dans une course effrénée dans les longs couloirs, leurs rires retentirent dans tous les services. On n’avait pas vu tant de joie en ce lieu depuis longtemps.

Après tout, peut être les bons et les mauvais jours n’existent –ils pas réellement, peut-être n’y a-t-il que les événements qui nous touchent et la manière dont nous décidons de les vivres.

Contes et récits: Bienvenue

Captivité

Margaux Gambier

Contes et récits: Vidéo
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Les trois crayons

Margaux-G

- Dis, Grand-père, tu as voyagé à travers le monde, dispersant tes mots aux quatre vents. Tu n’as jamais cessé d’écrire et de narrer tes histoires à tout venant. Tu as cumulé les expériences sans jamais laisser l’épuisement te gagner. Tu as brillé pour tous sans jamais gémir, tu as porté ce statut d’écrivain et de conteur, jusqu’à ce que tes doigts ne tremblent trop pour tracer les mots. Dis-moi, Grand-père, quel est ton secret ?


- Veux-tu écrire ? Réfléchis bien, ce n’est pas une question si légère. Ecrire c’est livrer au monde un tronçon de ton cœur. Pour écrire, il te faudra apprendre avec la patience et l’exigence des plus rigoureux. Pour écrire, il te faudra oser et créer avec l’audace des grands rêveurs. Alors je te le demande, veux-tu écrire ?


- Oui, plus que tout au monde.


- Héhéhé, d’accord petit, je vais te révéler mon secret. Approche… J’ai toujours en ma poche trois crayons. Le premier est un simple crayon de bois. Ce crayon de papier m’a permis d’oser tracer des choses nouvelles, de me risquer dans d’inconnues contrées sans craindre de m’égarer. Si par mégarde je me trompais, je n’avais qu’à gommer et recommencer. Prends ce crayon et ne recule devant aucune opportunité. Le second est un vulgaire stylo à bille. Il m’a aidé à tracer mes envies à l’encre indélébile pour ne jamais les oublier. J’ai pu refaire le monde si terne au gré de mes fantaisies. Prends ce stylo et n’ais crainte de tes folies, dessine les toutes et offre les au monde.


- Et le troisième ?


- Ah… Le troisième est peut-être le plus important de tous. Il s’agit d’une plume. Tu ne dois l’utiliser qu’une fois prête. Ne t’avise pas de l’essayer avant de considérer les deux autres comme tes meilleurs amis. Cette plume t’aidera à découvrir la vérité qu’il te manquera au terme de ton périple.


- Mais, Grand-père, cette plume ne peux écrire, je n’ai même pas d’encre pour l’y tremper.


- Prends ce petit flacon, il ne t’amènera guère loin mais ne te soucie pas de ce détail. Si tu écoutes bien toutes ces consignes, l’encre ne viendra jamais à manquer.


- Je ne suis pas sûre de vous suivre.


- Lorsque tu auras voyagé jusqu’au bout de tes pages, lorsque tu auras apprivoisé jusqu’au dernier mot que tu auras appris, lorsque tu auras écrit avec la dernière goutte d’encre, la dernière particule de graphite, alors seulement, tu comprendras. Vas maintenant, vas et écrit. Reviens me trouver lorsque tu n’auras plus de questions à me poser.


--------------------------------------------------------------------------


- Grand-Père, voilà bien des saisons que je suis partie, mais me voici à nouveau devant vous pour vous conter ce que j’ai découvert.


- Je t’écoute donc, avec la plus grande des attentions.


- Selon vos principes, j’ai voyagé dans mon existence avec en ma poche trois crayons. J’usais le premier jusqu’à ce que s’émiette la mine, essayant et recommençant inlassablement. J’ai appris de chaque erreur et juste avant que le crayon ne se meure, je n’avais plus nécessité de gommer pour raisonner et faire des choix éclairés.


- Alors, tu as appris à Oser.


- Je m’enquis ensuite du second des outils. Ce stylo me permit d’esquisser les plus beaux portraits mais malgré mon ardeur à décrire le monde tel qu’il était, il apparaissait sur le papier, toujours plus fabuleux qu’il n’y paraissait. Je mis un temps à saisir qu’il s’agissait là du monde tel que je le rêvais et voulais bien le voir. Je m’octroyai alors la folie de suivre mon imagination et de déformer les choses au gré de mes passions, me prenant à croire que ma vision pourrait les embellir. J’ai écrit ainsi mes chimères et mes utopies jusqu’à ce que le stylo ne puisse plus sortir un mot.


- Alors, tu as appris à Rêver.


- Enfin, j’en vins au troisième puisqu’il ne me restait plus que la plume. J’utilisai le petit flacon que vous m’aviez confié jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une seule goutte, mais je dois avouer que ses pouvoirs ne m’ont point aussi charmés que les deux crayons précédents. Je trouvais cette plume bien ordinaire et aucun enseignement ne vint me frapper tandis que je l’utilisais. Puis, je n’eus plus d’encre pour poursuivre ma quête et je me retrouvai entouré de ténèbres. Sans m’en rendre compte, l’écriture m’était devenue aussi indispensable que l’air que je respire et je me retrouvais soudainement asphyxiée. C’est alors qu’un passant qui avait toujours prêté une oreille attentive aux mots que je traçais jadis avec les deux précédents crayons, vint me trouver pour me dire que mes histoires lui manquaient. Il m’offrit un petit flacon d’encre noire, en tout point semblable à celui que vous m’aviez donné. Je me suis confondu en remerciement et me suis remise à l’ouvrage, cette fois en pensant à écrire quelque chose qui pourra plaire, en réponse à sa générosité. Ce flacon, comme le vôtre, ne fut pas long à se vider et je me retrouvai à nouveau en pénurie. C’est alors qu’on m’en amena d’autres, des personnes différentes qui n’avaient rien en commun hormis le fait d’aimer mes histoires. Grâce à eux, je ne manque plus d’encre et même si le travail à la plume et long et fastidieux, c’est de loin celui que je préfère sur vos trois crayons. Lorsque j’écris avec elle, je sens la force de cette encre venue d’horizon si différents et de cœurs si semblables.


- Alors, tu as appris à Aimer.


- Me voilà à présent un écrivain

accompli, riche de vos enseignements, mais je n’ai pas oublié à qui je dois mon premier flacon d’encre, ni les premières histoires qui ont fait battre si fort mon cœur d’enfant. Aussi, voulez-vous bien me faire l’honneur d’accepter cette plume, afin que nous écrivions ensemble tous les rêves que nous n’avons encore jamais osés… Je crois bien que nos pourvoyeurs d’encre ont plus que besoin de s’évader. Nous pourrions commencer par leur parler des trois crayons sans lesquels nous ne sortons jamais ?

Contes et récits: Bienvenue
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Les hommes de l'ombre

Margaux-G

Je suis un homme de l'ombre.


Chaque soir, j'accompli les mêmes taches, inlassablement. Je pousse, je porte. J'assemble, je nettoie. Je déplie, je replie. Il me faut faire vite, je n'ai que très peu de temps. Bientôt la lumière se rallumera et il me faudra disparaître.


Je suis un homme de l'ombre. Je surgis lorsque les projecteurs s'éteignent. Tout de noir vêtu, j'accompli ma mission. Le public est là comme chaque soir, il se presse sous le grand chapiteau, avide de voir quelques merveilles. Ce n'est pas moi qu'il vient voir. Personne ne vient voir les hommes de l'ombre.


Pourtant, sans nous et notre labeur nocturne, le spectacle ne pourrait se faire. Nous sommes là pour que le spectacle continue, il doit continuer.


J'aime beaucoup mon métier, je n'en ai jamais eu honte. Comme je le disais, sans moi et mes pairs, la piste ne pourrait accueillir les artistes qui s'y succèdent. J'ai plaisir à accomplir mon rôle de l'ombre.


Ce soir, tandis que je regagne les coulisses et que les lumières s'allument, tandis que les acrobates et les jongleurs illuminent la piste et font naître des étincelles dans les yeux des enfants, j'aperçois au premier rang un petit garçon dont la frimousse m'est familière.


Comme tous les autres enfants qui ont les yeux rivés sur la piste, les étoiles du cirque dansent dans ses yeux juvéniles. L'émerveillement est peint sur son visage lumineux. Les clowns le font rire aux éclats, les trapézistes et les funambules le font frissonner, les lions et les éléphants le font rêver...

Le monsieur Loyal de notre troupe s'approche de moi et désigne l'enfant que j'observe:
-"C'est ton fils, Bruno ? Il a bien grandit le petit !".


J'acquiesce. Je suis fier de ce qu’est

devenu ce petit bonhomme.

Les lumières volent et inondent les visages, les cris et les applaudissements retentissent. Puis, les projecteurs s'éteignent, les applaudissements se meurent, c'est à mon tour d'entrer en piste. 


Vite, ratisser le sable souillé par les chevaux. 
Vite, ramasser les accessoires dispersés çà et là par les clowns.
Vite, démonter la cage des fauves.
Vite, préparer les cordes des voltigeurs.
Vite, quitter la piste avant que la lumière ne se rallume...


Je sens sur ma silhouette le regard perçant de mon fils. Je l'imagine en train de scruter la pénombre pour m'apercevoir. A cet instant, je regrette d'être un homme de l'ombre.


J'aimerais être l'un de ces artistes fantasques qui font battre plus fort son cœur d'enfant. J'aimerais briller dans la lumière, rien que pour être vu de lui.
Mais je suis un homme de l'ombre, et pour la première fois, je n'y trouve aucun sens...


Le spectacle s’achève. Lentement, encore engourdi par le rêve, les familles quittent le chapiteau et reprenne le chemin du monde réel.


Je récupère mon petit gars, le nez collé contre la vitre de la machine à pop-corn. Nous regagnons notre foyer, sa petite main glissée dans la mienne. Je l’écoute me raconter le spectacle avec enthousiasme. Je feins la surprise devant les anecdotes que je connais déjà par cœur. Mon petit garçon est aux anges. Ces héros sont faits de lumières, son père est le roi du royaume des ombres…


Après avoir bordé ce petit bout d’âme dans son grand lit, après lui avoir promis un sommeil merveilleux et des rêves haut en couleurs, je m’éclipse doucement de la chambre d’enfant, laissant la douce lumière veiller sur ce petit être assoupi.
-« Papa, tu peux éteindre la lumière tu sais… ». Me dit la voix ensommeillé de mon fils.


Je me retourne surpris :
-« Comment ? Tu n’as plus peur du noir ? ».
Il secoue la tête avant de m’expliquer une vérité que jusqu’ici, je n’avais faite qu’entrevoir :
-« Tu sais papa, si la nuit n’existait pas, le soleil ne pourrait jamais se lever. C’est comme au cirque, si personne ne travaille dans l’ombre, la lumière ne peut pas se rallumer… ».


Je souris, touchée par ces petites perles de vérité qui émanent de ma chair. J’éteins la lumière et je me retire, sur la pointe des pieds.


Je suis un homme de l'ombre.


Chaque soir, j'accompli les mêmes taches, inlassablement. Je pousse, je porte. J'assemble, je nettoie. Je déplie, je replie. Il me faut faire vite, je n'ai que très peu de temps. Bientôt, grâce à moi, la lumière se rallumera, et le spectacle pourra continuer.


L'aube pointera, le rêve se poursuivra…

Contes et récits: Bienvenue
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Mon frère, ce petit monstre

Margaux-G

Noah sentit l'angoisse monter à mesure qu'il s'éloignait des grilles de son école.

-"Peut-être ne seront-ils pas là, aujourd'hui ?" se dit l'enfant.

Hélas, comme tous les jours, Max et ses copains l'attendaient dans une ruelle.

-"Donnes-nous ton goûter" ordonna Max, menaçant.

Noah n'était pas assez grand et pas assez fort pour leur résister. Alors, serrant les dents pour ne pas trembler, il sortit son goûter de son sac. Max le lui arracha des doigts en ricanant:

-"Parfait, le débile. Maintenant dégages, tu es trop moche."

Noah attrapa son sac et se mit à courir pour leur échapper. Malgré la distance, les mots de Max continuaient à le poursuivre.



Tous les jours, les mêmes insultes. Laid, Stupide. Noah aurait pût en parler à Mathieu, son grand frère, mais il se taisait, par peur ou par fierté, il ne savait pas trop.

Cela faisait des mois que cela durait, la peur le jour et la colère le soir.
Il passa le portail de sa maison, son grand frère était assis sur le perron, occupé à jouer à la console.

-"Tu es en retard" dit Mathieu sans même lever le nez de son jeu vidéo.

La rage qui habitait le petit Noah explosa malgré lui:

-"Occupes toi de tes affaires !"

Mathieu se fâcha:

-"Tu me parles autrement, espèce d'avorton ! répliqua-t-il en tentant d'arrêter Noah qui passa devant lui.

-"Lâches moi ! Tu es trop débile ! Tu comprends rien ! Hurla Noah en essayant de le frapper de ses petits poings".


Sous l'attaque de Noah, la console tomba des mains de son grand frère. Mathieu la ramassa, elle était cassée.

Noah s'en voulut aussitôt, mais le mal été fait.

-"Mathieu, excuses moi, j'voulais pas... Bredouilla-t-il.

-Disparaît ! S'emporta Mathieu, fou de rage. Tu n'es qu'un sale petit monstre, trop moche et trop débile ! "

Noah sentit les larmes lui monter aux yeux. Il courut, tête baissé, se réfugier dans sa chambre. La porte claqua violemment.
Mathieu s'en voulut aussitôt... Mais le mal était fait.

On ne revit plus Noah de la soirée.


Le lendemain, il n'y avait pas école.

Mathieu et Noah restaient seuls quelques minutes, le temps que leur nounou n'arrive. Inquiet pour son petit frère, Mathieu alla frapper à la porte de sa chambre:

-"Noah, c'est moi".

Pas de réponse.

-"Ecoutes, je suis désolé, je n'aurais pas dû te dire toutes ces choses, j'étais en colère... Tu me laisses entrer ?"

Mathieu colla son oreille contre la porte. Il n'entendit rien. De plus en plus inquiet, il ouvrit la porte et entra dans la chambre.
Mais Noah n'y était pas.


A la place, juchée sur le lit, se tenait une créature toute verte, avec deux yeux globuleux, des antennes et des mains en forme de nageoires.

Mathieu hurla de peur et sortit précipitamment de la chambre.

Une fois dans le couloir, il se ressaisit:

-"Tu n'es plus un bébé, reprends toi ! Se sermonnât-il, il doit y avoir une explication".


Il prit son courage à deux mains et entra de nouveau dans la chambre de son frère. La créature était toujours là.

Mathieu s'approcha lentement et toucha la bestiole pour se convaincre qu'elle était bien réelle. Sa peau était visqueuse et couverte de pustules, comme un gros crapaud difforme.
Il posa ses deux mains sur le monstre pour le secouer:

-"Noah, mon petit frère, où est-il ?

- Gnéééééééééééé, répondit le monstre avec un air parfaitement idiot".

Mathieu s'écarta du monstre avec dégoût.

"Il est vraiment très moche et a l'air d'être vraiment stupide..." se dit-il avant d'écarquiller les yeux d'effroi.

"Oh non ! C'est de ma faute... C'est ce que j'ai dit à Noah hier. Il s'est transformé en monstre moche et débile à cause de moi".


Il entendit soudain le bruit d'une clef dans la serrure. La porte d'entrée s'ouvrit:

-"Les garçons, c'est moi, c'est Sarah !"

"Notre nounou ne peut pas voir Noah dans cet état, il faut que je trouve une solution avant le retour des parents" se dit Mathieu, pris de panique.

-"Vous êtes dans vos chambres ?" demanda
Sarah en montant les marches de l'escalier.


Mathieu attrapa un vieux sac à dos qui traînait sous le lit et y fourra le petit monstre.

Sac à l'épaule, il descendit l'escalier et tomba nez à nez avec Sarah:

-"Ah ! Tu es là, Mathieu ! Où est Noah ?

-Euh, il joue dehors ! Mentit Mathieu. D'ailleurs, je vais aller le rejoindre.

-D'accord, mais ne vous éloignez pas trop, je vais préparer le déjeuner.

-Entendu ! Répondit-il en se hâtant de descendre.

-Gnéééééééééé! Fit Noah le petit montre, dans son sac.

-Quoi ? Qu'est-ce que tu as dit ? interrogea Sarah, surprise.

-Non, non, rien ! dit-il, mal à l'aise".

Il se rua au dehors. Lorsque la porte se referma, il soupira de soulagement.

Noah le petit monstre s'agitât dans son dos.

"Tiens-toi tranquille, lui souffla Mathieu, qui voyait bien les passants le dévisager". Ils regardaient avec curiosité le sac à dois qui semblait vivant.


Mathieu traversa le quartier à la recherche du cabinet médical où les emmènent leurs parents lorsqu’ils sont malades.

Le garçon était très nerveux en salle d'attente, sursautant au moindre bruit.

Lorsque le docteur appela son prénom, Mathieu se précipita dans la salle de consultation. Il attendit que le médecin eut fermé la porte pour sortir son petit monstre de frère et le poser sur la table d'auscultation.

-"Alors, qu'est-ce qui t'amènes ? marmonna le docteur.

-Je viens pour mon frère, il ne va pas bien du tout. Il est comme ça depuis ce matin" dit-il en désignant Noah.


Peu impressionné, le médecin s'approcha et commença à écouter sa respiration avec son stéthoscope.

-"Respire plus fort, dit le docteur.

-Gnéééééééééé, fit Noah.

-Fait Aaaaaaaaaaah, dit le docteur en lui plaçant un bâtonnet dans la bouche.

-Gnééééééééééééééé, fit Noah.

Le docteur se tourna vers Mathieu:

-"Il est en parfaite santé, ton frère, tout vas très bien !"

Estomaqué, Mathieu regarda le petit monstre vert. Ce dernier essayait d'attraper une mouche avec sa langue.

-"Vous trouvez ? dit-il au médecin.
-Oui, je ne vois rien d'anormal !".


Mathieu n'y comprenait vraiment rien. Il était de retour dans la rue, cherchant que faire pour soigner Noah. Son petit frère tout vert le suivait en sautillant et en faisant des "Gnééééééééééé" sonores à chaque bond. Et le plus étrange, c'est que personne ne trouvait ça bizarre, personne sauf Mathieu.

Soudain, une vielle femme s'approcha d'eux.

-"Il est drôlement vert ton ami... dit-elle à Mathieu.

-C'est mon petit frère...Hé mais, attendez ! Vous le trouvez étrange, vous aussi ?"

La vieille femme hocha la tête.

-"Suivez-moi tous les deux !"

Mathieu attrapa Noah par la nageoire et ils emboîtèrent le pas à la vieille dame, qui était en fait une gentille sorcière.


Elle les conduisit chez elle. C'était une toute petite maison qui contenait quantité de choses. Elle farfouilla dans ses placards tandis que Mathieu essayait d'empêcher Noah de jouer chamboule-tout avec les piles de livres.

La vieille femme revint vers eux avec un petit miroir. Elle le tint devant eux.

En s'approchant, Mathieu eut une grande surprise: à travers le miroir, il ne voyait pas un petit monstre vert, mais deux.


Son reflet avait la même apparence que Noah.

-"Tu vois ? dit la sorcière, le maléfice est dans vos yeux à tous les deux, c'est pourquoi les autres voient ton frère tel qu'il est d'habitude. Ce miroir vous montre l'image que vous avez de vous-même. A force de se faire insulter de stupide et de laideron, ton frère a fini par croire qu'il était réellement laid et stupide. Tout comme toi, tu te perçois ainsi depuis que la culpabilité te ronge pour ce que tu lui as dit hier..."

Mathieu pris Noah le petit monstre dans ses bras.

-"Je m'excuse, mon petit Noah. Tu n'es pas laid et pas du tout débile. Tu es mon frère et je t'aime de tout mon cœur.

-Moi aussi je t'aime... Et je suis désolé pour ta console, entendit-il."

Mathieu recula. Noah était redevenu le Noah qu'il connaissait.
Ils jetèrent un coup d'œil au miroir, leurs reflets étaient redevenus normaux eux aussi.


Quelques jours plus tard, tandis que Noah rentrait de l'école, il se fit piéger par Max et sa bande au détour d'une impasse.

-"Files nous ton goûter, le débile, ordonna Max.

-Non ! Dit Noah, campé sur ses positions. Et je ne suis pas débile.

-Il y a un problème ? demanda Mathieu qui était apparu derrière Noah."

Max perdit son sourire narquois. Mathieu était bien plus grand que lui. Il regarda ses copains, hésitant.

-"Tu peux y aller, Noah. Je te rejoint, dit Mathieu à son petit frère".

Noah secoua la tête:

-"Si tu restes, je restes !"

L'enfant glissa sa main dans sa poche en faisant un clin d'œil à son grand frère. Il en sortit un petit miroir.

Lorsque Max et ses deux copains se penchèrent pour se regarder dans le miroir, ils y virent trois petits monstres verts, très laids et très stupides.
Épouvantés, ils prirent leurs jambes à leur cou.

-"La sorcière me l'a donné, dit Noah en replaçant le miroir magique dans sa poche. Elle m'a aussi dit que la plupart des gens qui maltraitent les autres, ont une très mauvaise image d'eux même !".


Mathieu et Noah repartirent vers la maison, plus complices que jamais, jurant que si d'aventure le miroir magique leur montre un reflet qui n'est pas le leur, ils seraient là pour se rappeler mutuellement qui ils sont vraiment.

Contes et récits: Bienvenue
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14 juillet

Margaux-G

Anne courrait à travers les ruelles étroites. Ces pieds nus glissaient sur les pavés humides. Voilà longtemps qu’elle avait perdu de quoi se chausser. Un individu croisa le regard de la jeune fille, il fronça les yeux d’un air suspicieux, comme si une enfant de treize ans pouvait représenter une quelconque menace. Anne ne put s’empêcher de baisser le regard, effrayée. Elle passa devant l’homme la gorge nouée de terreur. Lorsqu’elle l’eu dépassé, elle pressa le pas. Il n’était pas bon de trop s’attarder dehors en ces périodes difficiles. Quelqu’un pourrait se méprendre sur ses intentions et la soupçonner de quelques obscurs complots. Les dénonciations abusives allaient bon train, un climat de peur planait constamment sur Paris. Entre les hommes de la milice bourgeoise constitué par l’assemblé des électeurs de Paris qui se faisait un devoir d’intervenir pour contrôler les débordements populaires ; et les gardes amendés par le roi lui-même, souhaitant réprimer toute forme de rébellion, et ce, bien souvent de manière beaucoup plus sanglante, toute rencontre avait désormais un goût de menace. 
Anne s’enfonçait toujours plus loin dans les entrailles de la capitale française. Sur la plante de ses pieds s’ouvraient toujours de nouvelles entailles, son estomac hurlait de douleur. Elle et sa petite sœur n’avaient pas mangé à leur faim depuis longtemps. Les haillons qu’elle portait laissaient deviner son extrême maigreur. Elle était sortie comme chaque matin, sillonnant les rues de la ville dans l’espoir de trouver de quoi nourrir sa sœur. La misère était partout, la douleur et la mort planaient sur la France depuis le début de la révolte. Les parisiens n’avaient plus rien à manger tandis que Louis XVI et sa cour festoyaient nuit et jour au château de Versailles. Le tiers-état était assommé par tant d’injustice, ployant sous le lourd fardeau des taxes et de la servitude. La colère avait commencé à gronder : « une révolution était en marche », scandaient les insurgés.

Anne sortit de l’ombre de la ruelle déserte dans laquelle elle s’était tapie. Elle retint son souffle, un frémissement d’horreur descendit le long de sa colonne vertébrale : un macabre cortège, comme on en voyait beaucoup trop ces derniers temps, venait de croiser sa route. Une dizaine de cadavres étaient conduit vers les catacombes, lieux que l’on avait entreprit de transformer en tombeau depuis que le nombre de mort ne cessait d’augmenter depuis le début de la révolte. Des révolutionnaires tombés au combat, leurs victimes, mais aussi des malheureux mort de faim, de soif et de froid. Les catacombes parisiennes étaient désormais emplies de ces âmes perdues, cohabitant en hurlant leurs peines et leurs colères à l’unisson, bourreaux et exécutés reposant côte à côte pour l’éternité.

Anne attendit que ne disparaisse le funeste cortège pour traverser la rue. Elle parcouru encore trois ruelles en longeant les murs, se faisant la plus discrète possible. Elle poussa un soupir de soulagement lorsqu’elle aperçut sa petite sœur assise devant le porche où elle l’avait laissé tantôt. Dès qu’elle l’aperçut, la fillette bondit sur ses pieds et courut se blottir dans ses bras. Anne sentit une main glacée serrer son cœur : Elisabeth était bien trop maigre et bien trop petite pour une petite fille de cinq ans. 
-« J’avais si peur que tu ne reviennes pas… » Dit la fillette
-« Bien sûr que j’allais revenir, je ne t’abandonnerais jamais petite sœur, la rassura la jeune fille.
-C’est aussi ce qu’on dit papa et maman, mais ils ne sont jamais revenu nous chercher… ».

Anne serra un peu plus fort sa jeune sœur contre son cœur. Leurs parents étaient partis avec quelques 48 000 français pour mener la révolte. Ils devaient ramener du blé pour nourrir le peuple et des armes pour le défendre. Mais ils n’étaient pas au nombre de ceux qui sont revenu.
Elle s’écarta doucement et sortit de sa poche un petit morceau de pain qu’elle tendit à Elisabeth. La fillette le dévora avec avidité. Elle n’avait pas mangé de pain depuis de plusieurs jours. Anne regarda sa petite sœur avec tendresse. 
Tout à coup, les coups d’un canon retentirent, faisant tressaillir les deux enfants. Nous étions le 14 juillet 1789. Trois jours auparavant, le peuple avait crié sa colère à travers les rues. C’était le renvoi du ministre Necker, un noble ayant de la considération pour les gens du tiers-état, leur ayant apportés aide et soutient par la passé, qui avait mis le feu aux poudres. Depuis, on ne parlait que de colère et de soulèvement. A dix heures au matin, les émeutiers se sont emparés des fusils entreposés aux invalides et la rumeur courrait à présent, murmurée fébrilement, passant discrètement de bouches à oreilles, que les révolutionnaires marchaient vers la Bastille, cette prison où le roi enfermait, selon la rumeur, qui bon lui semblait, le dispensant de tout jugement, fier symbole de l’oppression monarchique. Le doute n’est plus permis maintenant que les canons tonnent : dans quelques heures, la bastille tombera…

Anne observa les alentours. L’odeur de la mort flottait, omniprésente. Partout ce n’était que misère et douleur. Au loin retentissaient les sanglots d’une femme éplorée. Les cadavres escortés vers les tombeaux, les ombres faméliques, les enfants rachitiques, les hommes au teint blafard…

A côté d’elle sa sœur se mit à sangloter :
-« Pourquoi ils font ça ? »
-Pour qu’un jour, les enfants comme toi et moi naissent libres et égaux en droits, quelle que soit leurs situations et leurs convictions. Qu’ils puissent grandir et s’épanouir dans un monde de possibilités, en toute liberté. Ils deviendront des adultes heureux et bien nourris. Il n’y aura plus à craindre la famine ni la guerre, il y n’y aura plus à craindre les foudres d’un roi tyrannique. Ils seront libres de penser ce qu’ils veulent et de le dire haut et fort sans censure ni répression, ils pourront se réunir, avoir des terres et d’autres biens. Ils seront libres… Tu comprends ? »
La fillette acquiesça et essuya ses larmes. Elle glissa sa minuscule main dans celle de sa grande sœur. Anne ferma ses yeux sur ce monde en pleine métamorphose. Elle supposa que les canons étaient en train d’être rechargés. Elle entendit un sifflement monter. Elle se prépara à entendre la déflagration lorsque le boulet serais expulsé…

… L’explosion retentit alors et la fusée se dispersa dans le ciel avant de retomber en une gerbe de paillettes multicolores. L’artificier lança une nouvelle fusée pour la plus grande joie des enfants. Petites et grands observèrent émerveillés la fusée monter dans le ciel dans un sifflement joyeux. 
Les personnes attroupées ne perdaient pas une miette de ce magnifique spectacle, leurs visages éclairés dans l’obscurité par la lueur vacillante des lampions colorés. 
Lise, ravie par cette ambiance festive contemplait le ciel d’un air rêveur sans lâcher la main de sa grande sœur Anna. Et lorsque le spectacle annuel pris fin, elles rentrèrent toutes deux rejoindre leur foyer, riant et chantant de bon cœur dans les rues où régnait la gaieté.

L’avenir était devant elles, un avenir qui s’annonçait radieux, empli de quiétude et de liberté…

Contes et récits: Bienvenue
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Aminoïdes

Margaux-G

-1-


Marvin observait le ballet incessant des clients qui entraient et sortaient du bar. L’endroit, froid et austère, garni d’un comptoir et de tabourets métalliques n’avait rien de chaleureux mais il faudra s’en accommoder. Le silence était de mise. Nul éclat de rires ou brouhaha joyeux ne s’élevait des entrailles du café. Les gens entraient, pressés. Une commande puis ils attendent sans un mot, les yeux rivés sur l’écran, que leur boisson arrive avant de repartir. Pas le temps de traîner, pas le temps de regarder, pas le temps d’échanger. Marvin soupira. Assis sur un tabouret, accoudé au comptoir, il avait hâte que cette solitude factice ne prenne fin. La clochette teinta à nouveau lorsque la porte du pub s’ouvrit. Le nouveau venu vint s’assoir sur un tabouret voisin du jeune homme. Marvin le reconnut et lui adressa un grand sourire. Leurs embrassades amicales emplirent toute l’ambiance sonore du lieu, couvrant le vacarme des mouches qui bourdonnaient . Allan et Marvin se rassirent et trinquèrent à leur amitié, échangeant les nouvelles du jour. Ils avaient leurs petites habitudes, et ce café ritualisé en faisait partie. Les gens pressés continuaient à défiler devant eux pour prendre leur commande, n’accordant aucune attention à ces deux amis qui échangeaient leurs vécus, leurs angoisses, leurs joies et leurs peines. Ils émettaient des avis, parlaient du passé et fomentaient des projets. Marvin parlait beaucoup, comme souvent. Et comme toujours, Allan écoutait. Il n’était pas très bavard, il parlait rarement de lui mais qu’importe puisqu’il savait écouter. Leur amitié fonctionnait ainsi. Plusieurs heures passèrent. Il fallut bientôt que les deux compères prennent congé l’un de l’autre. Allan demanda soudain à Marvin :

-«Au fait, as-tu pensé à renouveler ton abonnement ?

-Non pas encore… Mais tu as raison, il faut que je m’en occupe ! lui répondit ce dernier ».

Les deux jeunes hommes sortirent, et marchèrent encore quelque temps ensemble dans la rue. Endoloris de se quitter, ils convinrent de se retrouver la semaine suivante sur le terrain de basket où ils avaient l’habitude de se disputer des matchs amicaux. Tandis qu’Allan s’éloignait, Marvin sentit à nouveau son âme esseulée devenir très lourde à porter…


-2-


Le terrain de sport était désert. Il n’était jamais très fréquenté de toute manière. Marvin et Allan occupèrent le grand terrain de basket, vestige d’un ancien temps où la convivialité était encore de ce monde. L’air était empli de leurs éclats de rire : ils n’étaient pas les plus doués au basket mais qu’importe, ils s’amusaient bien. Lorsqu’ils furent trop fatigués pour poursuivre, ils se dirigèrent tous deux vers les vestiaires. Vient alors un autre temps, celui de la confiance et des confidences. Marvin livre ses doutes et ses regrets sur la société humaine d’aujourd’hui, son ami l’écouta en hochant la tête gravement.

-« Tu sais ça me fait du bien de te parler de tout cela avec toi. Je réalise à quel point il est rare d’avoir un ami comme toi dans ce monde finit par se livrer Marvin.

- C’est normal, c’est ma fonction ! » Lui répondit Allan.

Les deux compères quittèrent les vestiaires pour regagner chacun leur domicile. Allan s’enquit à nouveau pour son ami :

-« Alors, ton abonnement ? ».

Marvin fit la grimace :

-« Je ne te cache pas que c’est compliqué en ce moment question budget… Du coup j’attends qu’on me verse ma paye. Ca ne devrait plus tarder, je pense que d’ici la semaine prochaine je serai en mesure de m’en occuper…

-« Ne tarde pas plus… Lui conseilla Allan d’un ton bienveillant. Ton abonnement touche presque à sa fin ».


-3-


Marvin sortit dans la rue en titubant, encore sonné par la nouvelle qu’il venait d’apprendre. Le mail que lui avait envoyé son employeur résonnait dans sa tête comme un couperet :

Vous faites partie des salariés que l’entreprise doit licencier pour lui permettre de subsister.

Le jeune homme, hébété, réalise qu’il est fauché et sans emploi. Désespéré, il se raccroche à l’image de son ami Allan comme à une bouée de sauvetage. Il partagera un moment avec lui, et Allan compatira. Il l’écoutera, le conseillera et peut être même, l’aidera-t-il à entrevoir une solution. Quelque peu apaisé par cet objectif à court terme, il sortit de sa poche son téléphone portable et composa le numéro d’Allan. La sonnerie stridente laissa place à un répondeur automatique :

-« Allan est pour vous injoignable. Vous n’êtes plus en droit d’accéder à ce service » lui indiqua la voix robotisée. Démuni, le jeune homme lui laissa un message :

-« Allan, c’est moi… Ecoute, ça ne va pas du tout… Je viens de perdre mon emploi. J’ai vraiment besoin de compagnie… On peut se voir ? ». Il n’obtint pour toute réponse qu’un signal sonore lui indiquant la fin de l’enregistrement du message.

Il se décida à passer le voir. Il eut la sensation de ne rencontrer personne en cours de route, les gens marchaient tous le regard vide, perdus dans les pixels, tels des automates. Une oreillette guidait leur route, des écrans aiguillaient leurs yeux, un florilège d’images préconçues pour orienter leur pensée. Il parvint enfin devant le bon immeuble. Une immense banderole publicitaire recouvrait les trois quarts de la façade. On y voyait deux personnes souriantes, leurs mains posées sur les épaules de l’autre. Le nom de la marque brillait en lettres stylisées : AMINOÏDES.

Marvin entra au sein du bâtiment et se dirigea vers le grand bureau qui tenait lieu de réception. La standardiste leva vers lui ses grands yeux de verre. Au contraire des derniers robots dont on ne pouvait discerner s’ils étaient de chair ou de fer, il était clair que celle-ci n’était pas humaine. Elle devait appartenir à l’une des premières générations, celle à qui l’on confia les postes de gestion ou de secrétariat. Après avoir servi au jeune homme les politesses d’usage que lui intimait son programme, elle lui demanda : -« Que puis-je faire pour vous ? -J’aimerais voir mon ami, s’il vous plait. Il s’appelle Allan… Chambre 86 ». La standardiste consulta son registre informatisé avant de rendre son verdict : -« Je regrette, dit-elle sans aucune émotion, mais votre abonnement a pris fin. Vous n’avez pas versé la somme vous permettant de le renouveler. Votre ami a été réaffecté auprès de quelqu’un d’autre».


-4-


Plus seul et déprimé que jamais, Marvin traversa la rue qui faisait face à l’immeuble d’Allan. Le flot incessant des voitures ne fut pas pour le perturber, les conducteurs ne regardaient même pas la route. Pourquoi le ferait-il, puisque les voitures savaient où aller et quand s’arrêter ? Il marche jusqu’à un banc et s’y laissa tomber, subitement à bout de force. Un bus passa à sa hauteur, arborant sur toute sa longueur une publicité haute en couleurs :

La solitude vous pèse ? Louez un Aminoïde !

Nos robots sont programmés pour simuler une amitié plus vraie que nature.

Le cortège de badauds prend place dans le bus qui redémarre déjà. Marvin est seul. Personne ne le remarque, personne ne fait attention à lui… Pas un seul ne regarde ce qui l’entoure, pas un seul ne présente les symptômes d’une déconnection. Vivant, échangeant, parlant, observant, découvrant à travers un filtre, un écran. Les lunettes connectées remplacent les yeux, les oreillettes connectées remplacent les oreilles… Les montres, les sacs, les voitures, les casques, les vêtements, les bijoux sont connectés. Autant d’outils jadis pensés pour rapprocher les humains, qui ont fini par les éloigner irrémédiablement les uns des autres.

Marvin était encore l’un de ces rares marginaux à regretter le manque de relations humaines et la véracité des échanges humains. Lui et ses semblables faisaient les beaux jours de sociétés telles qu’Aminoïdes © qui proposaient, dans la logique d’un monde où les robots peuvent offrir contre de l’argent des services divers et variés, d’acheter un semblant d’amitié… Une amitié virtuelle.

Marvin sentit une présence à ses côtés. Il jeta un coup d’œil à sa droite et s’aperçut qu’un autre bipède était assis sur le même banc. L’être d’apparence humaine n’était pas connecté, si bien que Marvin soupçonna qu’il ne soit en réalité constitué de métal et de circuits imprimés.

Décidant d’en avoir le cœur net, il s’adressa à lui : -« Vous êtes humain ou robot ? ».

L’homme l’observa longuement avant de répondre en grognant :

-« Humain ! Ne me dites pas que vous êtes un de ces fichus Aminoïdes ?

-Pas le moins du monde… ». Répondit Marvin. Les deux hommes se regardèrent et se comprirent. Au bout d’un silence, l’homme tandit la main pour serrer celle de Marvin :

-« Ami ? Mais je te préviens, je n’ai pas un sou… ».

Marvin lui serra la main et dit en souriant :

-« Moi non plus… Et… Je n’en ai pas besoin… »

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L'attente

Margaux-G

La petite dame brune ouvrit la porte. Elle déposa délicatement Brad à l'intérieur de la grande pièce. Ce dernier la regarda dans les yeux. Elle se mit à le caresser et à lui parler d'une voix douce. Elle l'invita à s'aventurer dans la pièce d'un geste avenant, avant de refermer la porte derrière elle. Ficelle tendis l’oreille pour entendre ses pas s’éloigner dans le couloir qu’il savait occupés par des dizaines de pièces comme celle-ci, chacune contenant un ou plusieurs chiens.
Une lumière chaude inondait la pièce, s'échappant d'une fenêtre placée sur le mur d'en face. Des gamelles d'eau étaient alignées contre le mur, des jouets et des coussins jonchaient le sol.
-Alors c'est toi le petit nouveau ? Dit une voix calme. 
Brad se retourna et se concentra sur le coin de la cage resté obscur d'où émanait la voix. Une magnifique chienne s'avança dans la lumière. Son pelage était de sable et ses yeux couleur de miel, n'exprimaient que la douceur. 
Le grand animal s'avança encore et vint renifler le mâle croisé berger et griffon avec curiosité.
-Comment tu t'appelles ? Lui demanda-t-elle.
-Brad ! Répondit aussitôt l'intéressé.
-Moi, c'est Dahlia... Bienvenu Brad, bienvenu dans le monde de l'attente...


JOUR 1


Brad - Qu'est-ce qu'on fait ? 
Dahlia - On attend...
Brad - On attend quoi ?
Dahlia - Le jour où nous pourrons repartir d'ici !
Brad - C'est quoi cet endroit ?
Dahlia - Un lieu où les chiens vont lorsque leurs maîtres prennent des vacances.
Brad - Alors, je suis ici parce que...
Dahlia - Parce que tes humains sont partis en vacances d'été et qu'ils ne pouvaient pas t'emmener ! Tout comme les miens, et ceux de tous les chiens qui séjournent ici.
Brad - Et on va devoir attendre longtemps leurs retour ?
Dahlia - Ça dépend ! Une semaine ou deux, peut-être plus, qui sait combien de temps ils vont mettre avant de reprendre le chemin de la maison ?
Brad - Et toi ? Tu es là depuis combien de temps ?
Dahlia - Mes maîtres seront très bientôt de retour.


JOUR 5


Brad - Pourquoi ne suis-je pas heureux ?
Dahlia - Il te faut plutôt te demander: qu'est-ce que le bonheur ?
Brad - Et bien, lorsque j'étais chez moi, je pensais que le bonheur consistait à être nourrit et à avoir un toit au-dessus de sa tête, parfois même, à recevoir quelques caresses de temps en temps.
Dahlia - C'est toujours ce que tu penses ?
Brad - Non. J'ai découvert que mon raisonnement ne tenait pas debout. 
Dahlia - Jusqu'à quel point ?
Brad - Ici, j'ai tout cela, ma gamelle n'est jamais vide, je suis à l'abri, le personnel est gentil avec nous et je t'ai toi. Et pourtant il me manque quelque chose pour être heureux...
Dahlia - Saurais tu définir ce qu'il te manque ?
Brad - Etre auprès de ma famille humaine.
Dahlia - Donc le bonheur ne serait pas tant lié au confort matériel ?
Brad - Tu sais, j'ai le sentiment que si j'étais dans la rue, le ventre moins rempli mais marchant auprès des êtres que j'aime, je serais cent fois plus heureux qu'ici. Enfin, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire...
Dahlia - Oh que si... Je le comprends très bien...


JOUR 12


Dahlia – Sais-tu ce qu’est l’amour ?
Brad – Je ne me suis jamais posé la question…
Dahlia – Pourtant, tous les humains se la posent un jour. 
Brad – Ils se posent parfois trop de questions.
Dahlia – Aimer c’est quelque chose de très puissant, d’inconditionnel, qui n’a aucune limite dans l’espace ou le temps.
Brad – Bien sûr ! Ce n’est pas parce que mes maîtres sont en vacances loin de moi que je ne vais plus les aimer ! 
Dahlia – Aimer, c’est pardonner même lorsque cela semble pourtant impossible.
Brad – Mes maîtres font sans cesse des erreurs avec moi, pourtant je ne cesserais jamais de les aimer.
Dahlia – Aimer c’est faire fi de tous préjugés, de toute barrière. C’est un sentiment qui unit au-delà de l’espèce, de la race, du drapeau ou de la couleur. 
Brad – Evidemment ! Si l’amour s’arrêtait à ça, les chiens et les hommes ne pourraient créer de liens ! Pourtant nous parvenons aisément à fermer les yeux sur tout ce qui éloigne nos deux espèces pour vivre ensemble.
Dahlia – Aimer c’est vouloir vivre chaque instant intensément avec les êtres chers. Aimer, c’est ne pouvoir supporter l’attente…
Brad – Si nos maîtres nous aiment aussi fort que nous les aimons, ils vont vite rentrer de leurs séjours et venir nous chercher.
Dahlia – Absolument…

JOUR 22

Brad – Quand l’espoir s’en va, que reste-t-il ?
Dahlia - …
Brad – Quand même la lueur la plus infime s’éteint dans notre cœur, nous rendant aux ténèbres, que reste-t-il ?
Dahlia -…
Brad –Les doutes et les remords ? 
Dahlia – Les souvenirs…
Brad – Ils ne reviendront pas n’est-ce pas ?
Dahlia – Non, en effet.
Brad – Nous avons étés abandonnés c’est bien cela ? 
Dahlia – Oui…
Brad – Pourquoi ne m’avoir rien dit ?
Dahlia – Il est essentiel que chaque chien s’en rende compte par lui-même. Comprendre et accepter, cela aide à guérir.
Brad – Pourquoi m’avoir laissé espérer ?
Dahlia – Pour continuer à vivre…
Brad - …
Dahlia - …
Brad – Dahlia ?
Dahlia – Oui ?
Brad – Si nos maîtres ne reviendront jamais, alors qu’est-ce qu’on attend ?
Dahlia – Une seconde chance.
Brad – Une recharge d’espoir ?
Dahlia – Disons plutôt… Un renouveau…


La petite dame brune du refuge s’approcha de leur enclos. Dahlia se retira dans un coin sombre comme elle avait fait à l’arrivé de Brad. Le jeune mâle vit que l’humaine posait délicatement une petite femelle griffon korthal sur le sol. La porte grillagée se referma de nouveau sur eux et le calme revint au sein du refuge pour animaux abandonnés. 
Hésitant, Brad croisa les prunelles de Dahlia qui l’encouragèrent à aller accueillir la nouvelle venue. Jeune chien s’approcha d’elle :
-Bonjour ! Je m’appelle Brad ! Et toi ?
La petite chienne remua la queue :
-Moi c’est Ficelle ! répondit-elle d’un ton enjoué.


Dahlia s’avança dans la lumière et les rejoignit d’une démarche assurée. 
-C’est quoi cette endroit ? Demanda Ficelle après que Dahlia se soit présenté.
-Un endroit où vont les chiens pendant que leurs maîtres sont en vacances. Assura la grande chienne de couleur sable.
-Et, qu’est-ce qu’on y fait maintenant ? S’enquit Ficelle.
-On attend ! Dis Brad en jetant un coup d’œil complice à Dahlia. 
-On attend quoi ? Demanda à nouveau Ficelle. 
Brad réfléchit un instant avant de répondre :
-De connaître la fin de l’histoire…


Fin… ?


Brad, Dahila et Ficelle ne sont pas des personnages fictifs. Ils sont tous les trois des protégés de l’association Rev’animal qui sauve les chiens abandonnés ou maltraités. Ils attendent tous trois un foyer qui leur offrira enfin l’amour et le bonheur qu’ils méritent. 
La suite de l’histoire, c’est à vous de l’écrire…

Contes et récits: Bienvenue
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L'entretien

Margaux-G

-Alors dis-moi ma grande, qu’est-ce qui t’amène ici ?


Tandis qu’il parlait, le docteur observait cette étrange fillette venu frapper à la porte de son cabinet au petit matin, réclamant une consultation de toute urgence. La petite, assise sur une chaise en plastique trop grande pour elle, faisait nerveusement balancer ses jambes dans le vide. Malgré ses efforts, ses pieds ne parvenaient pas à toucher le sol. Elle dit d’une petite voix fluette :
-«Je crois que ma maman est gravement malade, doc… »


Le médecin observa l’enfant à travers ses petites lunettes rondes. Elle semblait sincèrement préoccupée, mais sa mine radieuse ne s’estompa pas pour autant. C’était la première chose qu’il avait remarqué en la laissant entrer dans son cabinet, c’était comme si un rayon de soleil était venu s’installer en sautillant, en face de son bureau. 


Le docteur se racla la gorge :
-« Ta maman ne pouvait-elle pas venir elle-même pour m’expliquer ce qui ne va pas ? »
La gamine se tortilla sur son promontoire, mal à l’aise :
-« Elle ne sait pas que je suis là. J’avais besoin d’en parler à quelqu’un, je me suis dit que vous pourriez peut être l’aider…
-J’ai bien peur que je ne puisse pas faire beaucoup pour elle si je ne peux l’occulter ni lui parler… dit le médecin d’un air navré. 


La fillette fit une grimace :
-« Elle ne vous aurait rien dit de toute façon… Elle ne parle plus depuis longtemps. Elle a essayé pourtant, de leur parler, mais personne ne l’écoute jamais.


Perplexe, le docteur l’encouragea à poursuivre :
-« Comment communique-t-elle à présent ? 
-Quand elle a trop mal, ou qu’elle est réellement en colère elle se met à trembler… La petite esquissa des gestes avec les bras pour imager ses explications, toute sa peau se met frissonner, ça fait un bruit terrible. Ou alors, elle se met à pleurer, et ça fait d’énormes gouttes d’eau qui inonde son visage. Dès fois aussi elle souffle très fort et ça fait sacrément du vent !


Les traits de la fillette s’assombrirent légèrement. Moi je n’aime pas quand maman est dans cet état. Je n’aime pas la voir souffrir. Elle fait tout ça pour qu’ils comprennent et qu’ils arrêtent, mais ils ne comprennent rien… Ils pensent que tout ça c’est le hasard et qu’ils n’y peuvent rien…

- De qui parles-tu lorsque tu dis « ils » sans cesse ? demanda le docteur, de plus en plus intrigué.


L’enfant baissa la tête avant de s’emmurer dans le silence. 
Le médecin soupira. Il décida d’orienter la conversation sur un nouvel angle :
-« Et si tu me décrivais un petit peu les symptômes de ta maman, je pourrais peut être proposer des éléments de diagnostic… ».


La petite releva la tête : un grand sourire illuminait son visage. Elle s’empressa de décrire au docteur tout ce qu’elle savait :
-« Elle a de plus en plus de mal à respirer, sa fièvre monte sans cesse depuis quelques temps et elle se déshydrate trop rapidement… Son métabolisme ne fonctionne plus aussi bien qu’autrefois, elle est de plus en plus épuisée…


Le visage grave, le médecin hocha la tête, tout cela n’était pas très réjouissant en effet. L’enfant poursuivit :
-« Et sa peau, doc, vous verriez sa peau… Elle n’a presque plus de poils, sa peau n’est plus protégée alors elle se durcit tellement qu’elle ne peut plus communiquer avec le monde extérieur… Ses poils ne peuvent plus repousser, sa peau devient craquelé et sèche, dénué de toute vie. Les sédiments s’accumulent à sa surface, et elle s’empoisonne en les respirant. ».


Le docteur sentit qu’il était temps de reposer une question resté sans réponse : 
-« Dis-moi petite, j’ai la sensation que tu as déjà une petite idée du mal qui ronge ta maman… »
Des flammes de colère dansèrent un instant dans les yeux de l’enfant pourtant toujours si joyeuse :
-« Ce sont eux… Les parasites…
-Des parasites ? Dis m’en plus sur eux veux-tu ?
-Elle leur a donné la vie, elle les a accueilli et leur a offert tout ce dont ils avaient besoin pour vivre. Mais ils ont commencé à désirer plus. Ils ont arrêté de voir maman comme leur bienfaitrice, mais comme une entité dont on peut tirer profit. Alors ils ont percé des trous dans sa peau, ils ont pris son sang noir pour faire avancer leurs voitures, ils ont empoisonné son atmosphère, son eau, ils ont coupé ses poils, les arbres, et abîmer sa peau, ils l’ont rendu stérile. Ils se considèrent au-dessus de tous, ils pensent être les plus intelligents, mais ils ne comprennent pas quand maman se révolte. Ils pensent être supérieurs aux autres animaux qui cohabitent avec eux et se réservent le droit de vie ou de mort sur eux, alors que tous les autres habitants vivent dans le respect et la protection de maman. Ils n’ont vraiment rien compris…


Le docteur n’osa l’interrompre, comprenant de mieux en mieux l’étendu du problème. Lorsque la fillette eut fini, il dit :
-« Ecoute ma grande… A mon niveau je ne peux hélas pas faire de miracles. Les seuls à pouvoir sauver ta maman sont également les seuls capables de la détruire…


L’enfant avait la mine sombre à présent. Elle planta son regard dans celui du médecin avant de lancer :
-« Doc, vous croyez qu’il n’est pas trop tard ? Vous pensez que les humains peuvent encore sauver la Terre-mère ? ».
Le docteur se leva et contourna son grand bureau. Il s’agenouilla à la hauteur de l’enfant et lui dit d’un ton sincère :
-J’en suis persuadé… Vois-tu, mon nom est Espoir… Je suis ici chaque jour à travailler dans ce bureau, pour aider les dieux et les hommes à ma manière. J’ai était façonné par l’humanité. Je suis convainque que l’espèce qui du chaos et de la tristesse, a su me créer pour leur porter secours et les guider dans les ténèbres, est capable de bien des prouesses. Ils ont oublié l’essentiel. Ils se sont juste perdus ... Mais ils peuvent encore inverser le cours des choses, s’ils le veulent. »


L’enfant se leva lentement de sa chaise. Espoir put voir à quel point sa physionomie et son attitude solaire avait changé au cours de l’entretien. Elle semblait à présent triste et morne. La mine sombre et la posture fatiguée de la petite fit naître un inexplicable malaise dans le cœur du docteur. Il ajouta :

-« Il faut simplement qu’ils se rendent compte que le destin de Gaïa est intrinsèquement lié au leur… 
-Et au mien ». Dis l’enfant. 
Elle se dirigea lentement vers la porte. Espoir lui lança soudain :
-« Petite ! Tu ne m’as pas dit ton nom… »


La fillette était déjà dans l’encadrement de la porte. Elle se retourna et lança avant de disparaître dans un demi-sourire :

-« Je suis l’Avenir… Je suis le futur des dieux et des hommes… Et pour la première fois, j’ai peur… ».

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